Insertion des travailleurs issus de l’immigration : Un livre, une recherche, des pistes d’action


 

L’insertion des travailleurs migrants a fait l’objet d’une recherche approfondie coordonnée par l’IRFAM (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations) débouchant sur un copieux ouvrage de 455 pages intitulé « Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs ». Dans le cadre de la campagne Diversité Wallonie « Et si on travaillait ensemble ? », le CRIPEL (Centre régional d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) a rassemblé les opérateurs de sa région actifs dans l’insertion afin de débattre de pistes et propositions locales sur cette thématique, à partir de l’analyse développée dans la recherche publiée.

 

 

Le livre paru sous l’égide de l’IRFAM regroupe une série de synthèses qui évaluent les instruments socio-économiques et formatifs consacrés à l’insertion professionnelle des travailleurs issus de l’immigration dans les pays de l’OCDE. Son propos est d’extraire de la littérature scientifique et institutionnelle mondiale une vingtaine de types de dispositifs et de programmes de formation, d’orientation ou d’accompagnement de chercheurs d’emploi d’origine étrangère, avec pour objectif d’identifier les dispositifs les plus efficaces de formation et d’accès au travail.

De cet ouvrage, la rencontre orchestrée par le CRIPEL a tenu à mettre en exergue, dans un premier temps, une cartographie des pièges et tremplins des dispositifs d’intégration socio-économique des travailleurs migrants. À charge de l’assemblée de réfléchir, dans un deuxième temps, entre partenaires locaux de la région liégeoise sur la manière d’appliquer les conclusions de cette recherche approfondie d’ampleur internationale à leurs pratiques individuelles et communes.

Trois cents dispositifs d’insertion analysés

Le livre publié en 2018 s’inscrit dans le contexte du projet « Diversité et emploi en Wallonie » subventionné par le FSE (Fonds Social Européen) et coordonné par le CRIPEL. Le rôle attribué à l’IRFAM dans ce cadre était d’accompagner et documenter le réseau de huit centres régionaux d’intégration de La Wallonie, ainsi que leurs nombreux partenaires de terrain. Sur le plan documentaire, l’idée était de fournir à ces acteurs des synthèses accessibles, valides et capables d’orienter leurs activités d’insertion et de sensibilisation. Pour ce faire, la publication d’une trilogie d’ouvrages avait été programmée. Le premier, paru en 2017 et intitulé « L’apport de l’autre. Dépasser la peur des migrants », met en lumière l’apport des migrants en tant qu’élément particulièrement sous-valorisé. Le deuxième sorti en 2018, objet des débats du moment, précède un troisième opus dont la publication est prévue pour la fin du projet. Ce dernier sera, lui, consacré à l’analyse des initiatives wallonnes en matière d’insertion socioprofessionnelle des travailleurs issus de l’immigration.

L’ouvrage récemment sorti de presse met en évidence près de 300 dispositifs d’insertion issus de 23 pays. Chacune des 21 analyses publiées est illustrée en moyenne par une douzaine de dispositifs. Parmi ces exemples de dispositifs, un quart est issu du Benelux, un quart de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse, et environ 10% de l’Angleterre et de l’Irlande. Mais d’autres ensembles sont également concernés comme la France, le trio États-Unis Canada Australie ou les pays du sud de l’Union européenne. Près de 80% des initiatives analysées sont déployées dans l’Union européenne.

Pour valider cette démarche, l’IRFAM a encadré 21 contributeurs, soumettant l’ensemble du travail d’écriture aux intervenants des centres régionaux d’intégration à quatre reprises, durant la phase de rédaction : pour la définition de l’objet des études, pour la structuration et la lisibilité des textes, pour la précision des recommandations et pour les stratégies de diffusion. Le fil conducteur de toutes les synthèses peut se résumer en un triple questionnement : que savons-nous des dispositifs d’insertion socioprofessionnelle des publics issus de l’immigration dans les pays de l’OCDE ? Quelle est leur efficacité à brève et longue échéance ? Quelles sont les recommandations à proposer pour améliorer leur impact quantitatif et qualitatif sur le public, les organismes d’insertion et le marché de l’emploi ?

Services généralistes et services spécialisés

Résumés par l’un des coordinateurs de l’initiative, Altay Manço, les résultats généraux de la recherche développée dans l’ouvrage mettent en évidence plusieurs principes qui fonctionnent. Le premier est la cohabitation entre services d’insertion professionnelle généralistes et services spécialisés pour populations d’origine étrangère. L’utilité de la spécialisation est établie dans des domaines précis comme celui des langues. En général cependant, les diversités culturelles sont à considérer dans leurs intersections avec les autres diversités rencontrées sur le marché de l’emploi comme le genre, l’âge, le handicap, etc. Il s’agit donc d’articuler dispositifs généralistes et spécifiques. Cette articulation présente l’avantage de lier les dispositifs entre eux, à la fois horizontalement (en assurant, par exemple, la mixité des publics) et verticalement (en assurant la transition d’une phase à l’autre).

En termes de diversité, Altay Manço estime que la multiplicité des offres d’accompagnement sur le marché du travail épouse mieux la diversité des besoins des travailleurs et des entreprises. Celle-ci doit s’accompagner, selon lui, d’une diversité des acteurs, des espaces et des temps. Les recherches compilées dans l’ouvrage mentionnent les plus-values des agencements de dispositifs qui allient l’action des services publics de l’emploi, de la société civile (essentiellement, les associations et les syndicats) et de l’entreprise privée. Cette dernière semble être souvent la grande absente des projets d’insertion. C’est le cas, en particulier, en Europe continentale, alors que sa présence ailleurs est fréquemment synonyme de succès.

La médiation de la société civile

En revanche, l’État paraît être l’intervenant le plus efficace dans le rôle de l’arbitre ou du pilote des systèmes d’insertion, à condition qu’il se montre capable d’inclure la diversité. Il doit également éviter le gaspillage de ressources humaines qui équivaut à des économies substantielles. Dans un autre registre, la présence visible des travailleurs migrants sur le marché du travail a des vertus co-inclusives au sein d’une population diversifiée. Le rôle de l’État est de valoriser les diversités des travailleurs, de varier les opportunités tant pour les citoyens que pour les entreprises, d’accompagner (et non imposer) les prises de décision avec l’aide des organisations de la société civile, et d’encourager la formation, l’innovation et la recherche par des moyens financiers.

Revient enfin à la société civile l’importante fonction de la médiation entre les travailleurs « issus de la diversité » et les entreprises. L’insertion professionnelle crée elle-même un tissu d’emplois. Par ailleurs, elle doit apporter l’innovation contre les filtres (examens linguistiques, reconnaissances de titres, etc.) qui freinent plus qu’ils n’aident le processus d’insertion. Elle doit aussi offrir des contextes de formation et d’évaluation inclusifs et informels (formation en alternance, accompagnement linguistique, mentorat, etc.) et elle est davantage en prise avec la mise en œuvre réelle des aptitudes professionnelles.

D’après le coordinateur de la recherche, la bidirectionnalité de la démarche d’insertion est la clé de son succès. D’abord, parce que, dans ce cas, les travailleurs d’origine étrangère ne sont pas les seuls à être ciblés par les mesures. Ensuite, parce que cela permet de dépasser le « xénoscepticisme » des employeurs (et de la population locale en général) vis-à-vis des travailleurs venus d’ailleurs, particulièrement lorsque ce scepticisme n’est pas une peur irrationnelle, mais un doute quant à l’efficacité d’agents économiques migrants, une incertitude qui peut être combattue par des faits, des contacts et des constats de bon fonctionnement.

Quatre pistes pour une réussite optimale

Sur base de la synthèse générale qu’il fait de la recherche qu’il a coordonnée, Altay Manço énumère quatre pistes permettant de décupler la réussite de l’insertion des travailleurs migrants. La première est de donner du sens aux dispositifs de formation et d’accompagnement. Cela passe par le fait d’associer l’enseignement de la langue de la région d’emploi avec des finalités concrètes, de favoriser un accès rapide des migrants aux formations professionnelles, d’assouplir les règles et les filtres, de négocier les modalités des dispositifs avec les participants, d’augmenter l’offre et sa diversité, et de montrer que l’insertion des migrants contribue au bien-être général.

La deuxième piste est d’autonomiser les migrants. Pour atteindre cet objectif, il convient de mettre au point un cadastre des qualifications des travailleurs immigrés, de reconnaître leurs compétences et projets, d’offrir une meilleure reconnaissance aux migrants qui participent aux initiatives d’insertion et de développer davantage d’outils en ligne.

La troisième piste est d’instaurer des collaborations durables entre autorités, société civile et entreprises, notamment dans les secteurs d’activités en pénurie de main-d’œuvre. Sur ce plan, le principe est de renforcer les institutions concernées par l’insertion, de mieux soutenir les professionnels de la formation et de l’accompagnement, et de développer une culture de coopération et d’évaluation formative.

Enfin, la quatrième et dernière piste est de rapprocher les employeurs des publics issus des migrations. Les axes de travail dans cette optique sont de rendre les processus d’embauche plus transparents, d’informer sur les avantages des diversités pour les entreprises, d’offrir une meilleure visibilité aux projets réussis, de relier ces projets entre eux, de valoriser les entreprises et les services publics qui s’engagent dans des actions d’insertion, et d’encourager le lien social dans et autour de l’entreprise.

Dominique Watrin

Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, Altay Manço et Joseph Gatugu (sous la direction de), Éditions L’Harmattan, 2018.