Les chiffres bruts livrés par Amnesty International sont glaçants : il se commet, chaque année, 45.000 actes de violences familiales en Belgique. Et l’auteur de ces actes risque généralement peu face à des femmes déchirées entre partir et perdre ses enfants et ses droits… et rester et subir. C’est dans cette réalité sordide que l’association Picardie laïque a puisé les bases d’un séminaire, organisé récemment, qu’elle a intitulé « Quand la violence conjugale s’invite dans le parcours migratoire : obstacles à franchir et acquis socio-juridiques à conserver » Une rencontre divisée entre sensibilisation au phénomène et information socio-juridiques.
Les chiffres récents sont tout aussi terrifiants que ceux, plus globaux, fournis par Amnesty International. Selon un blog consacré aux féminicides, 37 femmes et 3 enfants ont perdu la vie suite à des violences familiales en 2018. Et le décompte de 2019 n’est guère plus encourageant, avec 20 femmes et 2 enfants décédés à ce jour dans les mêmes circonstances.
La migration, facteur « accélérateur »
Il y a sept ans, une première rencontre avait eu lieu, sous l’égide de Picardie laïque, sur base des conclusions de focus groups, mis sur pied avec des femmes, sur le thème des violences faites aux femmes dans le cadre du regroupement familial. Au départ de cette étude, le CVFE (Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion) basé à Liège a aujourd’hui conçu et réalisé un court film d’animation d’une dizaine de minutes mettant en lumière le processus de domination qui est à l’origine de nombreux cas de violences familiales en situation de migration. Parce qu’elle estime qu’il est capital et urgent de briser le silence qui règne autour de cette thématique, l’association liégeoise décrit les processus comme le contrôle et l’isolement qui vont généralement de pair avec ce phénomène.
Le point-clé au centre du processus décrit par le CVFE est que certains facteurs de migration agissent comme des « accélérateurs » de violences familiales, conduisant de la séduction à la violence, en passant par tous les stades de l’intimidation et des excuses. Le regroupement familial est, en effet, créateur d’une dépendance mise en place par le système, donnant au partenaire un ascendant émotionnel et administratif sur sa compagne venue le rejoindre. Le dénoncer est un droit et un devoir pour la victime, mais prouver les faits est un parcours du combattant pour une femme qui perd souvent ses droits, dont celui de séjour, si elle quitte son conjoint. Car, si la violence est universelle, il existe une vulnérabilité spécifique de certains groupes, dont les femmes en migration.
Un imbroglio d’obstacles
Sur le plan juridique, la violence conjugale en parcours migratoire baigne dans un imbroglio d’obstacles à franchir et d’acquis socio-juridiques à connaître et conserver. C’est à François Haenecour, avocat en droit des étrangers au Barreau de Mons que les organisateurs du séminaire ont confié la lourde tâche de développer cette approche politico-juridique en forme de lueur d’espoir, ponctuée par son titre « Règles et pratiques : comment (se) rassurer ? »
Sans entrer dans les détails les plus précis, l’intervenant rappelle d’abord le dispositif général de séjour dans le cadre du regroupement familial. Pour faire simple, si le séjour sous base du regroupement familial est admis, l’étranger se retrouve titulaire d’’une carte F (séjour illimité d’une validité de 5 ans) ou A (séjour limité d’une validité d’un an). Lors du renouvellement ou à tout moment, l’autorité peut être amenée à envisager le retrait de séjour pour différentes raisons. Parmi celles-ci, le fait que le mariage avec le citoyen de l’Union accompagné ou rejoint est dissous, ou qu’il n’y a plus d’installation commune. Lorsque ce retrait intervient, l’Office des Étrangers tient compte de la durée du séjour, de l’âge, de l’état de santé, de la situation économique et familiale, de l’intégration sociale et culturelle et de l’intensité des liens avec le pays d’origine. Parmi les exceptions au retrait du séjour figurent les parents ayant la garde d’enfants de citoyens de l’Union européenne inscrits dans une école, jusqu’à la fin des études (sans autres conditions).
Invoquer la Convention d’Istanbul
Que faire, dès lors, lorsqu’on est un professionnel qui se retrouve en présence d’une situation de violences conjugales de ce type ? D’abord, examiner si la personne n’est pas protégée éventuellement par un changement de statut. Si elle ne l’est pas, examiner au cas par cas le moment opportun pour contacter l’Office des Étrangers et l’informer de la situation de violences conjugales. Lui envoyer aussi des dépositions de police, ainsi que leur suivi pénal et les attestations médicales. Il faut également avancer sur l’objectivation et la poursuite des faits, en tenir l’Office des Étrangers informé, ainsi que demander à ce dernier de confirmer le maintien du séjour.
Il faut aussi investiguer pour éventuellement faire valoir une situation d’exception en matière de statut. C’est le cas, par exemple, pour une personne parente d’un enfant belge ou, dans une moindre mesure, d’une autre origine européenne. De même, il faut solliciter la garde des enfants (mesure surtout utile pour les parents d’enfants de l’Union européenne non belges ne répondant pas aux autres conditions). Il est également possible de glisser vers un autre statut, comme celui de travailleur ou d’étudiant. À terme, la loi de 2016 s’appuyant sur la Convention d’Istanbul visant à prévenir et lutter contre toutes formes de violences à l’égard des femmes, ainsi que contre la violence domestique, pourrait aboutir à délivrer des titres de séjour particulier à ces personnes. Entretemps, à défaut, il convient d’invoquer cette Convention d’Istanbul.
Dominique Watrin
Une brochure spécifique sur ce sujet, intitulée « Les droits des femmes migrantes en regroupement familial face à la violence intrafamiliale » est disponible et téléchargeable sur le site Internet de Picardie laïque : Cliquez ICI