Les migrations climatiques : une multitude de raisons d’envisager d’urgence des réponses aux bouleversements environnementaux


Parmi les nouvelles formes de migration, la question des réfugiés climatiques est incontestablement la plus méconnue. En cours depuis la nuit des temps, elle risque, selon les experts, de se développer de manière exponentielle, ce qui incite les professionnels de l’intégration à sensibiliser le public à son existence, ses enjeux et ses conséquences. C’est l’option qu’a prise le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de Luxembourg) en proposant une conférence de François Gemenne, chercheur et enseignant en Sciences politiques aux universités de Liège et de Versailles. Le thème de son intervention : « Et demain, de nouvelles migrations ? La question des réfugiés environnementaux. »

Les migrations climatiques ont toujours existé. François Gemenne rappelle le tremblement de terre qui a ravagé Lisbonne en 1755, événement considéré comme une des premières catastrophes naturelles de l’histoire moderne, qui provoqua l’évacuation de toute la population de la ville. Ou, plus récemment, la grande sécheresse des années 30 qui entraîna l’exode de dizaines de milliers de paysans du centre des États-Unis, paysans dont beaucoup connurent un très mauvais accueil, une fois arrivés en Californie.

Cette problématique des migrations environnementales a longtemps été complètement oubliée par les études qui n’en ont jamais fait une cause de migration, jusqu’à ce qu’on s’inquiète du changement climatique dans les années 90. Or, il s’agit, d’après François Gemenne, d’un déclencheur majeur de migration. Le nombre de déplacés suite à des catastrophes naturelles est évalué par les experts à 26,4 millions de personnes par an. Ce chiffre équivaut à trois fois le chiffre des déplacés en raison de conflits, estimé à 9 millions par an, et ne comprend que les causes brutales (comme l’ouragan Katrina, Fukushima, etc.). Il faut y ajouter les causes plus lentes et moins détectables, parce que pas visibles et n’engendrant pas d’interventions humanitaires, comme l’avancée des eaux ou l’assèchement des sols.

Les trois grands impacts du changement climatique

La caractéristique première des catastrophes climatiques est que ce sont les pays industrialisés qui en sont les responsables et les pays en développement les victimes. Pour François Gemenne, il y a trois impacts du changement climatique à considérer. Le premier est constitué par les événements climatiques extrêmes qui touchent principalement l’Asie du Sud et du Sud-Est, une région très peuplée. Environ 86% de ces catastrophes naturelles sont d’origine hydroclimatique.

Le deuxième impact est la hausse du niveau des mers. Celle-ci touche le bord de mer qui compte d’immenses mégapoles très peuplées, ainsi que des régions insulaires. Les experts estiment aujourd’hui que le niveau de la mer augmentera d’un mètre d’ici à la fin du siècle. Toute élévation entraîne un retrait de côte important. Des deltas entiers (Mékong, Gange, Orénoque, etc.) devraient être inondés et des pays devraient perdre une part importante de leur territoire, comme le Vietnam (-10%). Cela entraîne sur place des débats conflictuels sur le choix des zones à protéger. Les populations de ces régions continuant à augmenter, il faudrait planifier la création de nouvelles villes, de nouveaux centres d’activités économiques.

Enfin, le troisième impact du changement climatique est la baisse des précipitations et la dégradation des sols, enjeu qui concerne, en premier lieu, l’Afrique subsaharienne. Ces effets entraînent un exode rural massif, mouvement qui connaît un ralentissement significatif en période de sécheresse, la population paysanne voyant diminuer sa source de revenu, ce qui l’empêche de se déplacer. Dans ces pays, près de 50% de la population dépend de l’agriculture de subsistance pour survivre. Ce qui consacre l’idée que la migration subsaharienne n’est pas uniquement socio-économique, mais est aussi climatique.

Une convergence de caractéristiques alarmantes

Les migrations environnementales ont plusieurs caractéristiques en commun. La première est qu’il y a une relation positive entre dégradation de l’environnement et migration. Autrement dit, toute dégradation signifie migration. La deuxième est que plusieurs facteurs environnementaux vont s’entremêler et influer sur d’autres facteurs de migration. La troisième est que ces facteurs vont forcément augmenter la contrainte de migrer. La quatrième est que les migrations qu’elles engendrent s’effectuent généralement sur des courtes distances (déplacements internes), les populations cherchant à rester près de leur habitat initial. Les migrants concernés échappent, par conséquent, à tout comptage statistique et leur poids financier va peser sur les pays touchés.

La cinquième caractéristique est que les victimes les plus vulnérables sont souvent incapables de migrer, la migration nécessitant la mobilisation de beaucoup de ressources (financières, physiques, etc.). Lors de l’ouragan Katrina, par exemple, 60.000 personnes concernées n’ont pas quitté leur habitation. Pour diverses raisons : âge trop avancé, absence de véhicule, volonté de rester près de ses animaux de compagnie, coût du logement de repli, etc. Et ce phénomène est valable pour tout type de dégradation de l’environnement. Enfin, la sixième et dernière caractéristique est qu’il y a une augmentation des migrations dans les zones à risque.

Des politiques à mettre en place d’urgence

Pour François Gemenne, plutôt que d’essayer d’empêcher ces migrations, il convient de les aider, voire de les encourager et de les financer. Aujourd’hui, ces migrations sont considérées comme positives par les instances internationales traitant du climat. Ce qui entraîne les gouvernements dans une position schizophrénique, parce que, dans les négociations internationales auxquelles ils participent, les migrations sont, par contre, considérées comme des catastrophes à éviter.

Pour l’heure, des petits États insulaires situés au ras de la mer (comme les Maldives ou Tuvalu), menacés de submersion totale, servent de signaux d’alerte. Et ceux-ci posent la question de la disparition physique totale d’États souverains, mais aussi d’autres questions fondamentales annexes : un État peut-il exister sans territoire ? Si oui, que faire des revendications des populations sans État, comme les Kurdes ? Selon le chercheur, l’avenir des populations et des États va dépendre des politiques mises en place.

Ces politiques ne peuvent aujourd’hui que reposer sur des prospectives. La Banque mondiale estime le nombre futur de déplacés internes à 140 millions. En ce qui concerne le réchauffement climatique, le chiffre officiel admis aujourd’hui est que la température augmentera de 2° d’ici à la fin du siècle. Mais le scénario le plus probable reconnu par les scientifiques est celui d’une augmentation de 4°. Cette hypothèse aurait différentes conséquences. La première serait la modification de l’habitabilité de la terre. Certaines régions du globe (En Iran, au Bengladesh, en Arizona, etc.) deviendront impropres à être habitées, les fonctions vitales ne pouvant plus opérer à plus de 50°. Ce changement impliquera de donner des terres nouvelles aux populations des terres inhabitables et donc de relocaliser des populations à l’intérieur d’autres pays.

Une accentuation de l’écart entre hypermobilité et immobilité

Une autre conséquence est celle qui a trait aux seuils de rupture, au basculement du climat dans un état brutal et irréversible. Selon François Gemenne, la plus grosse angoisse des scientifiques est la fonte totale de la calotte polaire arctique, qui entraînerait une hausse du niveau des mers de six mètres. Des mesures sont en cours de mise en place dans certains pays européens pour contrer cette hausse. Une vraie question également posée est celle de la disparition de terres comme Shangaï ou certaines îles des Philippines suite à une hausse de température de 4°. Là-bas aussi, des stratégies sont en cours d’application, comme des déplacements de villages vers les collines.

Pour ce spécialiste des flux migratoires, ces bouleversements engendreront une fracture plus grande entre ceux qui pourront voyager partout et ceux qui ne seront plus chez eux nulle part. Autrement dit, il y aura une accentuation de l’écart entre l’hypermobilité des uns et l’immobilité des autres. Les personnes les plus pauvres seront prisonnières de leur territoire, ayant de moins en moins de possibilités de mobilité. Et, dans ce contexte, toutes les politiques pouvant accentuer la mobilité de ces populations les plus pauvres seront également sociales.

Dominique Watrin