L’inscription des personnes étrangères aux élections communales : des pistes pour augmenter la participation


Pour les centres régionaux d’intégration de Wallonie, l’heure est désormais à la sensibilisation des résidents étrangers, entrant dans les conditions requises, à s’inscrire pour participer au scrutin communal du 14 octobre 2018. Dans ce contexte, le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre) et le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) ont uni leurs efforts pour organiser un séminaire à Tournai, au cœur de la Wallonie picarde dont ils se partagent la couverture du territoire. Le thème de cette séance à laquelle étaient conviés les opérateurs institutionnels et associatifs de la région en contact avec le public concerné : « quelles pistes pour augmenter l’inscription de personnes étrangères aux élections communales ? »

Deux exposés généraux ont animé cet après-midi de sensibilisation, avec pour objectif de contextualiser l’enjeu de la participation des étrangers aux élections locales. Le premier à s’exprimer a été Marco Martiniello, directeur du CEDEM (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations) de l’Université de Liège dont l’expertise fait autorité dans le domaine abordé. Le chercheur s’est attaché à circonscrire la question de la présence des immigrés, étrangers et leurs descendant(e)s (en abrégé, les IED) dans la vie politique locale.

Mobilisation, participation et représentation politiques

L’intervenant a d’abord battu en brèche quelques thèses historiques portant sur l’implication des étrangers dans la vie politique. Ces thèses vont d’une hypothèse de passivité d’après laquelle les étrangers n’ont pas d’intérêt pour la gestion de la collectivité à d’autres versions, marxiste et non marxiste, selon lesquelles ces populations ne se mêlent pas de la politique de leur pays d’accueil ou sont tout simplement « sous-développés politiquement ». Pour Marco Martiniello, ces croyances sont simplistes et inexactes, au même titre que celle qui affirme que les jeunes se désintéressent totalement de la politique. Les immigrés sont déjà sensibilisés à la politique dans leur pays d’origine et il existe donc une culture politique dans une partie de cette population.

Aux yeux du directeur du CEDEM, il convient de distinguer, au départ, les notions de mobilisation politique, participation politique et représentation politique des IED. Au niveau de la mobilisation, il importe de dégager des préoccupations individuelles convergentes pour créer ladite mobilisation, en tenant compte du fait que les vecteurs de mobilisation d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Sur le plan de la participation, le constat est similaire. Selon lui, on devrait inverser le rapport : inscrire les étrangers aux élections et leur demander de se désinscrire s’ils ne souhaitent pas participer au scrutin. Enfin, au niveau de la représentation politique, la question cruciale mise en avant par le chercheur est : va-t-on trouver dans les assemblées élues des profils de personnes représentant la population ? Sa réponse est nuancée. Parfois, il y a une énorme surreprésentation et parfois une énorme sous-représentation de certains pans de population. En revanche, une constante est établie : plus la représentation correspond à la réalité, plus les décisions prises satisfont les électeurs.

Les formes de participation locale

Comment cerner, dans ce contexte, les formes de participation ? Marco Martiniello estime que ces formes dépendent largement de la structure des opportunités politiques (SOP, en abrégé) présentes à un moment donné de l’histoire, comme l’accès à la nationalité, la possibilité de créer des associations, etc. Et la SOP est le résultat des mécanismes d’inclusion/exclusion développés par les États (de résidence et d’origine) à l’égard des immigrés, étrangers et leurs descendant(e)s.

Pour dégager une typologie des formes de participation politique locale de ces IED, deux critères sont à prendre en compte, selon le directeur du CEDEM. Un critère géopolitique (avec distinction des niveaux infra-communal, communal et régional) et un critère de niveau d’institutionnalisation, en distinguant participation politique étatique et non étatique.

La participation étatique comprend la participation électorale, la représentation dans les assemblées élues et la politique consultative qu’il est primordial, selon le chercheur, de garder et de faire connaître. La participation non étatique a lieu dans les partis politiques et, à travers celle-ci, les personnes peuvent avoir une influence sur les politiques du pays, même si elles n’ont pas le droit de vote. Cette participation non étatique se concrétise aussi dans les syndicats dont l’action devra se digitaliser pour répondre à la digitalisation de l’économie, les formes de luttes actuelles devant évoluer pour s’adapter. La participation politique reprend enfin la mobilisation ethnique et/ou religieuse, ainsi que la mobilisation dans toute autre forme de mobilisation collective.

Cinq pistes de réflexion

Cet état des lieux amène Marco Martiniello à cinq pistes de réflexion. La première est celle de la coexistence de la « géolocalisation » de la politique communale et d’un transnationalisme politique. Il existe un réel lien des IED avec la politique de leur pays d’origine et donc, par exemple, un véritable impact de la politique du pays d’origine sur la mobilisation dans le pays d’accueil. La deuxième piste est celle du vote ethnique et du vote religieux. C’est une crainte qui existe au sein de la population, mais les données disponibles actuellement établissent que, même si on ne peut pas exclure cette dimension, ces facteurs expliquent rarement les votes.

La troisième piste est celles des alliances au sein des électeurs IED et de la concurrence victimaire. Selon le directeur du CEDEM, les alliances sont très difficiles à mettre en place. Il y a plus souvent concurrence qu’alliance entre victimes, chaque communauté (marocaine, turque, d’Afrique subsaharienne, etc.) s’estimant souvent lésée par rapport aux autres au lieu de s’unir. La quatrième piste est la question de savoir qui sera la voix des sans voix, à savoir notamment les sans-papiers qui seront un jour des citoyens de ce pays et dont la voix doit être portée. Enfin, la cinquième piste est celle de la mobilisation pour les scrutins de 2018, puis de 2019. Il y a des personnes insatisfaites du fonctionnement de notre société qu’il convient de mobiliser. Et, pour ce faire, il faut intégrer nouveaux médias et nouvelles technologies qui constituent un potentiel à ne pas négliger.

L’importance de la sensibilisation

Louise Nikolic, docteur en Sciences politiques, a, quant à elle, complété le tableau dressé en présentant les résultats de sa recherche qui portait sur les résultats des inscriptions des étrangers aux scrutins de 2006 et 2012 en Belgique. Son étude s’est penchée sur les résultats des 588 communes du pays. Sur le plan statistique, elle a relevé d’énormes disparités entre communes et régions, la mobilisation étant beaucoup plus faible au nord qu’au sud du pays. Au niveau belge, les chiffres établissent un taux d’inscription des étrangers de 18,4% pour les électeurs en provenance de pays de l’Union européenne (UE) et de 14% pour les électeurs hors Union Européenne. Pour la Région wallonne, ces chiffres grimpent respectivement à 36,4% pour les électeurs de l’UE et à 19,3% pour les électeurs hors UE.

La question centrale de l’analyse de Louise Nikolic est, dès lors : quels facteurs peuvent expliquer ces disparités ? Pour y répondre, elle s’est penchée sur les données disponibles par commune, sur les données politiques et migratoires officielles, ainsi que sur un questionnaire, envoyé à toutes les communes, portant sur leurs actions de sensibilisation (envoi d’une lettre aux personnes concernées, information sur le site Internet de la commune, collaboration avec les associations locales, aide des agents communaux aux guichets, etc.).

Et quels constats ressortent-ils de cette recherche quantitative ? Sur le plan politique, la chercheuse établit qu’un bourgmestre de gauche, un volume important d’actions de sensibilisation et un faible score des partis d’extrême-droite sont des facteurs démultiplicateurs d’inscription des étrangers au scrutin. Et, au niveau des éléments déclencheurs liés au processus de migration, elle détermine que la stabilité de résidence des personnes concernées et la proportion d’étrangers parlant la langue locale (français, néerlandais ou allemand) opèrent le même effet.

Des pistes simples pour augmenter la participation

Pour élargir ce constat quantitatif, la chercheuse a mené une étude qualitative sur un échantillon de communes représentatives des deux tendances. Cet approfondissement lui a permis de mettre en lumière que la perception positive d’un bourgmestre de gauche augmente le taux d’inscription. Inversement, une perception négative de celui-ci ou du contexte politique général aboutit à une baisse du taux d’inscription. Et le constat est similaire pour les actions de sensibilisation. Ces actions étant perçues comme relevant d’un climat communal ouvert aux étrangers, elles décuplent le taux d’inscription. À l’inverse, un climat communal perçu comme fermé, intolérant, voire hostile aux étrangers, induit un taux important de non inscription.

Et, dans ce contexte, les contacts avec les employés communaux, et le sentiment d’intégration et de non discrimination semblent jouer un rôle majeur. Contribuent à façonner cette perception des facteurs comme l’obligation de vote (mal ressentie quand cette donnée ne fait pas partie de la culture politique), la mobilité fréquente (notamment chez les fonctionnaires internationaux), la méfiance vis-à-vis de l’administration communale ou le contact problématique avec cette dernière, et l’importance du lien avec la population belge.

Quelles pistes mettre en place, dès lors, pour augmenter le taux d’inscription des étrangers aux élections de 2018 ? Louise Nikolic en met cinq en exergue. Anticiper, renforcer et généraliser les actions de sensibilisation. Ensuite, mettre l’accent sur les contacts directs avec le public cible. Renforcer également le rôle « multiplicateur » des leaders des communautés. Interpeller aussi les communes qui ne respectent pas les procédures d’inscription. Et, enfin, informer systématiquement les électeurs potentiels à propos de leur droit de vote au guichet de l’administration.

À ces pistes s’ajoutent quelques actions concrètes relativement simples à réaliser. Parmi celles-ci figurent : fournir une information claire et multilingue sur le site Internet de la commune, envoyer des courriers simples (avec des informations sur l’inscription, mais aussi sur la désinscription qui reste toujours possible) pour inciter les personnes à s’inscrire, accepter les formulaires par courrier mais aussi par mail, et accepter les formulaires envoyés par le secteur associatif (avec numéro de registre national, mais sans copie de la carte d’identité).

Dominique Watrin