La question du genre en contexte interculturel : le rôle déterminant de la perception des autres


 

Le rapport homme-femme est un éternel sujet de débat et de revendications. Mais qu’en est-il lorsque le sujet s’inscrit dans un contexte interculturel ? Le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a tenu récemment à inscrire cette question au centre d’un de ses Échanges de Midi en donnant d’autres contours à la question à savoir : la domination des hommes et la soumission des femmes seraient-ils des attributs spécifiques de la culture que les personnes immigrées importeraient dans leur pays d’immigration ? Qu’il y a-t-il de vrai dans cette représentation ? Existerait-il un réel clivage culturel dans ce domaine ou serait-ce une idée toute faite ?

 

 

C’est à Nouria Ouali, professeure à l’Institut de sociologie METICES (Migrations, Espaces, Travail, Institutions, Citoyenneté, Epistémologie, Santé) de l’ULB, qu’a été confiée la tâche de baliser le thème du jour résumé sous l’intitulé « Égalité des genres, migrations et approche interculturelle ». Élargissant le débat et le portant sur un plan davantage conceptuel, la chercheuse s’est surtout appliquée, dans son exposé, à déconstruire les éléments constitutifs de la rencontre et de la perception dans un contexte interculturel. Avec, au centre de la démonstration, une question fondamentale : comment aborder une rencontre dans un contexte interculturel ?

Une vision figée des cultures

Pour Nouria Ouali, dans toute rencontre et a fortiori lors d’une rencontre en contexte interculturel, la première question de base à se poser est : comment faire ? Et la réponse fuse, simple : d’abord comprendre. Il ne faut pas admettre comme une évidence tout ce que l’on nous raconte. Et la vérité évolue en permanence. Celle du 21ème siècle n’est, par exemple, pas celle du 20ème qui n’était elle-même pas celle du 19ème. La notion de migrants est elle aussi relative. Le nombre de pays dans le monde s’élevant à 194, il y a, pour chacun, 193 pays d’étrangers. Et, dans chaque pays, il y a plusieurs cultures. La Chine, par exemple, compte 56 ethnies. Tout cela s’inscrit dans un cadre où on construit l’autre en fonction de nous et, vice versa, où l’autre nous construit en fonction de lui.

Qui peut, dès lors, parler et qui parle au nom de qui ? En quels termes parle, par exemple, une femme migrante de classe ouvrière ? Cela demande, selon la professeure de l’ULB, une explicitation du rapport social dans lequel on se situe. Lorsqu’un candidat réfugié dénonce des abus policiers, sa dénonciation d’un dysfonctionnement est mal perçue parce que la personne qui dénonce est dans une position vulnérable. Même si son propos est légitime, sa position est différente de celle d’un citoyen lambda parce qu’il est sans droit, sans emploi, etc. Et tout cela va faire en sorte de délégitimer son accusation.

La notion d’immigré a elle-même évolué dans la perception qui en est véhiculée. Aujourd’hui, elle englobe aussi les gens qui sont d’ascendance immigrée. Cela démontre que la vision des cultures et des groupes est figée, alors que la réalité, en l’occurrence celle de l’immigration, évolue. Et cette vision a pour conséquence qu’on se mélange de moins en moins pour se réfugier dans l’entre soi. Pour la professeure de l’ULB, cela induit également qu’on envisage la culture comme homogène et opposée à celle des « autres ». On dit, par exemple : les musulmans sont tous les mêmes. Or, des musulmans du Maghreb, d’Indonésie ou des Etats-Unis sont totalement différents. En fait, on rigidifie les différences.

Cette vision devient particulièrement problématique quand elle s’accompagne d’une hiérarchisation. Par exemple, celle qui veut que l’Occident est la modernité et l’Orient la tradition. Sur ce plan, il convient de prendre en compte que la modernité représente la rapidité du changement social. C’est une évolution qui est rapide et remet en cause l’humain. Elle ne met pas en cause les cultures, mais elle bouscule tout le monde en permanence.

Un moyen pour disqualifier certaines cultures

Penser que les êtres sont différents, mais qu’ils sont homogènes (avec des cultures étanches) et hiérarchisés ne correspond pas à la réalité. Il s’agit d’une construction sociale et la réalité n’est pas une construction sociale. Cela équivaut à construire la réalité de manière irréelle, avec des réductions, des amalgames et des simplifications. Dans le même ordre d’idées, les perceptions sont, de leur côté, systémiques. Les perceptions individuelles sont conditionnées par les stéréotypes et les modes de pensée charriés par la société. On reproduit les modes de pensée. Pour atteindre l’égalité concrète, il convient de déconstruire afin de connaître les modes de représentation qui se trouvent derrière. La division, la différenciation et la hiérarchisation qui découle des représentations induisent un rapport de domination, avec des positions matérielle et symbolique différentes. C’est le cas du rapport homme-femme.

D’une manière générale, au sein des groupes, on a dissocié l’homme de la femme sans tenir compte d’autres critères comme la nationalité, l’âge, etc. De ce fait, les discriminations se sont cumulées en termes d’inégalités sociales. Or, les femmes sont multiples : par leur âge, leur classe sociale, leur origine, etc. Et les rapports homme-femme ont été utilisés comme un moyen pour disqualifier certaines cultures. C’est le cas principalement de la culture musulmane. Or, la violence sexiste envers les femmes existe partout. La preuve en est les récentes campagnes #MeToo et #BalanceTonPorc.

Selon Nouria Ouali, les populations ainsi disqualifiées sont, dès lors, considérées comme une menace, alors qu’il s’agit en réalité des populations les plus vulnérables. D’après les constatations du BIT (Bureau International du Travail), les femmes et les migrants sont les populations les plus vulnérables, notamment en termes de capacité de mobilisation. Et la menace se construit toujours à partir d’un groupe particulier. Elle part d’une méfiance à leur égard, eux qui sont une figure caricaturée et stigmatisée. Ce statut de menace justifie ensuite leur discrimination, c’est-à-dire le traitement qui leur est appliqué.

L’argument majeur est d’opposer les autochtones et les migrants. Chasser les fraudeurs s’assimile notamment souvent à viser les migrants, sans prendre en compte que ce sont les décisions politiques qui appauvrissent le système social, pas les gens. Près de 85% de la fraude sociale en France provient, par exemple, des employeurs, pas des travailleurs. De même, le déficit public, toujours en France, est de 50 milliards. C’est donc l’absence de redistribution des richesses qui est le facteur majeur de l’appauvrissement.

Pour Nouria Ouali, la criminalisation des autres induit la peur qui, elle-même, induit la rupture de communication. On ne se parle plus, on ne vérifie plus la véracité des allégations qui les concernent. On se construit des images les uns des autres, des représentations sociales qui deviennent des murs. Ces murs empêchent les personnes de se connaître et de faire évoluer leurs pensées, alors que tout change en permanence. Et cet état de fait rend les situations quotidiennes plus tendues, plus conflictuelles…

Dominique Watrin