Le génocide rwandais sous le regard de ses survivants : l’espoir à travers le souvenir et la douleur


Apaisement, pardon, réconciliation sont les mots qui émergent le plus aujourd’hui autour d’une tragédie rwandaise dont on commémorera le vingt-cinquième anniversaire l’an prochain. Ce déchaînement de folie meurtrière, qui a fait un peu plus d’un million de morts selon un recensement local, recèle pourtant encore d’innombrables blessures et cicatrices bien compréhensibles. Pour parcourir les dédales de cet inconcevable crime contre l’humanité, les membres de l’asbl RGTH (Rescapés du Génocide des Tutsis vivant en Hainaut) ont organisé une conférence-débat, avec le soutien du CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) et du CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi). Une séance faite de témoignages déchirants et de tentatives d’analyse, dans une atmosphère teintée en permanence d’un sentiment de recueillement.

La première vie d’Angélique Ingabire Rutayisire, celle de la jeunesse insouciante en famille, s’est arrêtée le 25 avril 1994. Ce jour-là, au cœur de la déferlante de violence fratricide qui a parcouru le Rwanda pendant trois mois, la jeune Angélique perd sa mère, sa sœur et ses deux frères, massacrés par des hommes fanatisés. Seuls, son père et elle échappent à la mort. Ils fuient. Hélas, Angélique perdra son père, quatre ans plus tard. Et, comme si le destin devait s’acharner sur elle, elle perdra en 2011 celui qui l’avait épousée dix ans plus tôt. À 25 ans à peine, Angélique est seule au monde.

Un message d’espoir

C’est le récit de cette trajectoire de vie, à la fois si atroce et presque banale dans son pays, cette histoire qu’elle a consignée dans un ouvrage intitulé « D’un cœur chagriné à une plénitude de joie », qui a ouvert la conférence-débat. De son propre aveu, ce livre, Angélique Ingabire Rutayisire l’a rédigé dans un double objectif : partager son expérience et faire passer un message d’espoir. « Je voulais parler en mémoire des miens et servir de témoignage pour ceux qui vivent des moments difficiles, précise-t-elle dans son intervention. Le responsable de ce massacre, c’est la main de l’homme. Pas la main des étrangers, celle de nos voisins, de ceux qu’on croyait nos amis ; celle des jeunes à qui ma mère, institutrice, avait enseigné, des familles que mes parents avaient aidées. »

Après tant d’épreuves, la rescapée du génocide veut adresser un message à ses lecteurs et particulièrement à ceux qui ont survécu au déchaînement de violence qui a emporté les siens. « J’ai refusé d’être prisonnière du passé, martèle-t-elle. Et je ne le regrette pas. » Et le pardon ? A-t-elle pardonné ? À cette délicate question qui lui est posée, sa réponse fuse sans hésitation : « Oui ! Mais ma chance a été que ma famille a été tuée par des inconnus, pas par des voisins ou par des proches. »

À la rencontre des justes

Le deuxième témoin-clé de la conférence-débat est Jacques Roisin. L’homme qui est psychanalyste et chargé de cours à l’UCL (Université Catholique de Louvain) a pris pied un peu par hasard dans le Rwanda humainement dévasté de l’après-génocide. Ayant travaillé pendant vingt ans dans un service d’aide aux victimes d’agression en Belgique, il a été invité en 2008 à faire une intervention sur le sujet dans un colloque à Kigali. Et c’est lors d’une visite du Mémorial de Nyamata, dédié aux victimes, qu’il est ébloui par une photo de femme, le portrait d’une « sorcière » qui a chassé les génocidaires qui se présentaient dans son village.

Revenu au Rwanda pour animer un groupe de parole de victimes du génocide, le psychanalyste a eu envie d’aller à la rencontre de l’humanité qui s’est exprimée durant les dramatiques événements, en la personne des anonymes qui ont sauvé des vies au péril de la leur. Il a donc retrouvé des héros du génocide qu’il a rencontrés, à intervalle régulier, pendant plusieurs années. Jusqu’à consigner leurs témoignages bouleversants dans un ouvrage intitulé « Dans la nuit la plus noire se cache l’humanité. Récits des justes du Rwanda ».

Retraçant des lignes de convergence à travers cette somme de récits particuliers, Jacques Roisin a établi une série de caractéristiques communes à ces personnes au comportement exemplaire. La première est l’immédiateté à sauver. Pour eux, c’était tout simplement une nécessité. La deuxième est leur courage. Il ne s’agit pas d’une absence de peur, mais de faire ce qu’on doit faire, malgré la peur. La troisième est l’importance de rester en vie, mais au-delà de ça, le sentiment qu’il vaut mieux mourir qu’avoir des remords. Enfin, la quatrième constante essentielle qui relie ces héros du génocide, selon le psychanalyste, est leur immense compassion humaine, une compassion responsable. Une compassion qui, près d’un quart de siècle après le génocide du Rwanda, est une des clés de la reconstruction humaine du pays.

Dominique Watrin