Ma grand-mère, cette jeune polonaise morte à Auschwitz : quand l’histoire rappelle la nécessité de l’accueil et de la vigilance


Le passé constitue toujours un formidable élément d’éclairage pour comprendre l’histoire en marche. À l’heure où la crise de l’arrivée des migrants, et surtout de leur accueil, ainsi que toutes les formes de rejet de l’autre et de la différence, prennent de plus en plus d’ampleur et de consistance en Europe, le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) a choisi de mettre à l’honneur une plongée dans un passé pas si lointain pour prôner a contrario les valeurs de tolérance et d’intégration. C’est dans ce contexte qu’il a accueilli récemment dans ses locaux un exposé de Dominique Delescaille, journaliste et auteure d’un ouvrage intitulé « Ma grand-mère, cette jeune polonaise morte à Auschwitz », paru aux Éditions Jourdan.

 

L’histoire contée par Dominique Delescaille est d’abord celle d’un parcours personnel, authentique et tout à fait atypique. Celui de sa propre mère, d’abord nommée Liliane Demeuter qui découvre, six ans après la fin de la seconde guerre mondiale, en 1951, en allant chercher sa première carte d’identité à l’administration, qu’elle s’appelle en réalité Louise Lewkowitz. Pour la jeune fille qui vit paisiblement dans un univers familial bienveillant, en banlieue de Charleroi, c’est le séisme. On lui annonce alors que sa mère est morte à Auschwitz et qu’elle ne viendra jamais la rechercher. Une mère sans visage pour une enfant sans réelle identité jusqu’à ce qu’un jour…

 

Un nom, un visage

 

Immergée dans ces racines aux contours douloureux, la fille de Louise Lewkowitz, la journaliste Dominique Delescaille, prend un jour connaissance, au hasard d’un reportage de la RTBF, de l’opération « Rendez-leur un visage » qui propose l’accès à des documents inaccessibles depuis cinquante ans pour rendre hommage aux déportés de Belgique. Nous sommes en 2006. La journaliste prend contact sans délai avec une responsable de l’opération, en lui fournissant un nom et un prénom, ceux de sa grand-mère. Et aussitôt, la nouvelle inattendue et inespérée tombe : les documents accessibles recèlent une photo de famille datée de 1942 sur laquelle grands-parents et arrière-grands-parents de l’auteure prennent la pause. À 68 ans, la mère de Dominique Delescaille peut enfin mettre un visage sur le nom de sa mère.

 

Sur le seul document iconographique disponible, la grand-mère pose aux côtés de ses parents. Elle a dix-sept ans. La « jeune polonaise morte à Auschwitz » s’appelait Regina Lewkowitz. Elle n’a jamais abandonné sa fille. Elle avait 14 ans au moment de la naissance de la petite Louise. Elle vivait en Belgique où elle était fichée dès 16 ans. Elle a été déportée en 1942, dans le troisième convoi pour Auschwitz, au départ d’une simple convocation. Elle y perdra la vie comme des centaines de milliers d’autres victimes du nazisme. Elle est une des 28.000 juifs déportés de Belgique.

 

Un support de témoignage

 

Pour Louise Lewkowitz, la découverte de cette mère est à la fois un choc et un soulagement. Sa première réaction devant la physionomie de la jeune femme campée sur une photo jaunie est spontanée : « On dirait ma sœur. » Puis, la surprise fait place à une forme d’apaisement. « Je sais enfin d‘où je viens », avoue-t-elle à sa fille. Une fille qui entame aussitôt la rédaction d’un livre contant l’histoire de cette quête inespérée d’une mère inconnue. La rédaction de l’ouvrage démarre dès 2007, s’interrompt puis reprend pour se terminer une dizaine d’années plus tard.

 

Décédée il y a trois ans, Louise Lewkowitz n’aura pu lire que les trois-quarts du livre de sa fille. Son soulagement de découvrir ses racines aura été tel qu’elle aura arrêté immédiatement les antidépresseurs qu’elle prenait depuis des années. Pour Dominique Delescaille, le livre est devenu aujourd’hui un support de témoignage. Si l’enquête se lit comme un roman policier, l’ouvrage est aussi une plongée dans un pan d’histoire, dans le passé de la Belgique et du grand Charleroi, avec des chapitres consacrés aux juifs à Charleroi, au rexisme, etc.

 

L’auteure a choisi aujourd’hui de parler, de parcourir les écoles, les associations et les lieux d’animation pour rappeler à la fois un destin individuel douloureux, une histoire collective dramatique et les leçons qu’il faut en retenir pour le présent. Avec, en filigrane, comme but ultime, l’espoir que la médiatisation de son livre ouvre à d’autres familles les portes de leur histoire. Qu’il leur donne la force de reconstruire leur passé…

 

Dominique Watrin