Les relations interculturelles en milieu scolaire (…)


(…) une dimension à prendre en compte prioritairement pour le mieux-être de tous

L’interculturalité est un phénomène auquel un nombre croissant d’acteurs du milieu scolaire sont confrontés, que ce soit en tant qu’enseignant, élève, parent ou partenaire de l’école. Le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a choisi de faire un focus sur cette thématique, à l’occasion du Salon namurois des outils pédagogiques, en organisant une conférence intitulée « Développer ses compétences interculturelles en milieu scolaire ». Son public cible : les enseignants et futurs enseignants, ainsi que tous les partenaires professionnels du monde scolaire.

Audrey Heine est chercheuse en psychologie interculturelle à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) et auteure de plusieurs ouvrages dans cette discipline. C’est donc en connaissance de cause qu’elle évoque l’interculturalité telle qu’elle apparaît à l’école qui s’affiche théoriquement comme « un lieu d’égalité des chances, de démocratie et d’accès aux ressources sociales et culturelles », mais dans laquelle « on constate pourtant une augmentation des situations d’échec, de décrochage scolaire, ou encore des conflits et des tensions entre des groupes culturellement différents ».

Un mur de barrières culturelles

Ce n’est pas une nouveauté, l’analyse des trajectoires scolaires des élèves fait apparaître des écarts de performances entre les jeunes issus de la diversité et leurs condisciples autochtones. Ce constat s’explique par des causes multiples, notamment sociales (avec le niveau socio-éducatif), structurelles (le système scolaire et la ségrégation qui y règne), institutionnelles (préjugés, stéréotypes, discriminations en cours dans l’établissement) ou culturelles (méconnaissance du français, conflits des codes culturels entre l’école et la maison, barrières culturelles, etc.).

Les barrières culturelles sont, entre autres, liées à la méconnaissance du système scolaire, mais aussi aux barrières linguistiques et culturelles avec, dans certaines cultures, une valorisation de l’oral (plutôt que de l’écrit comme c’est le cas en Europe) et du rôle de l’enseignant considéré comme dépositaire exclusif du rapport au savoir. Autre barrière, les stéréotypes sont des mécanismes, présents chez tout le monde, qui peuvent entraîner des comportements différenciés comme des discriminations. Il existe de nombreux stéréotypes ethniques parmi les enseignants, de même que chez les élèves. Enfin, autres barrières des populations issues de l’immigration, le stress acculturatif et l’isolement loin de la famille.

Un triple défi

En tenant compte de ces divers éléments, enseigner en contexte de diversité équivaut à un triple défi. Le premier est de promouvoir la reconnaissance de la valorisation du pluralisme, au sein de l’institution, de l’établissement et de la classe. Le deuxième est de déjouer les mécanismes d’exclusion scolaire et sociale. Et le troisième est de développer des processus de communication interculturelle entre enseignants, parents et élèves, sous peine d’aboutir à ce qu’on appelle un « incident critique ».

Les rapports sociaux, comme ceux noués au sein de l’institution scolaire, sont régis par ce qu’on appelle la culture sociale qui est simplement ce qui fait que les personnes sont liées au sein d’un groupe, à savoir les rites (politesse, savoir-vivre, etc.), les codes de communication, les valeurs, les croyances, etc. Mais la culture, c’est aussi et surtout un contenu symbolique, c’est-à-dire le sentiment d’appartenir à la même entité sociale. Face à ce cadre qui détermine les liens entre culture et comportement, deux erreurs grossières sont à éviter. La première est de sous-estimer l’importance de la culture ; il s’agit d’une vision universaliste qui s’accompagne d’un ethnocentrisme, avec, comme postulat, l’idée que sa propre appartenance est la plus évoluée. La seconde erreur est de surestimer l’influence de la culture, à savoir croire que l’on peut tout expliquer par le facteur culturel, ce qui équivaut à négliger les autres facteurs (sociaux, politiques, économiques, de personnalité, etc.).

Quelle pourrait être la solution pour éviter ces erreurs ? Adopter une posture interculturelle. Concrètement, cela revient à s’intéresser avant tout aux contacts des cultures, soit aux individus et à la manière dont ceux-ci gèrent la rencontre interculturelle (comment on est en relation avec les élèves, les collègues, etc.). Cela revient également à proposer un schéma d’analyse pour cerner l’ensemble des processus générés par les contacts de cultures ethniques, nationales, régionales, générationnelles, de genre, etc. Les difficultés dans les relations interculturelles proviennent du choc interculturel (par exemple, la différence des codes liés à la bise), les stéréotypes et préjugés, et les processus identitaires.

Les appartenances invisibles

Comme l’iceberg, les appartenances possèdent une partie visible et une partie invisible. Les appartenances visibles sont celles qui apparaissent au premier coup d’œil : la couleur de peau, le sexe biologique, le port du voile, etc. Les appartenances invisibles sont les valeurs (la liberté et l’individualisme en Occident, la collectivité, la présence dans le groupe et la solidarité dans certaines cultures du Sud), ainsi qu’une série d’autres caractéristiques, comme, par exemple, la passion pour l’art ou le sport. Sur cette base, la première étape à franchir dans une rencontre interculturelle est de voir la partie immergée de « l’iceberg » de l’autre. Lors des rencontres entre cultures, on peut éprouver des difficultés à comprendre les individus d’antécédents culturels différents parce qu’on ne connaît pas les aspects invisibles de leur « iceberg ». Alors qu’on juge les phénomènes culturels « émergés » de l’autre culture à partir des caractéristiques « immergées » de notre propre culture, ce qui conduit inévitablement à un choc culturel.

La différence entre les stéréotypes et les préjugés qui opèrent est que les premiers agissent au niveau des cognitions, des idées (on parle de catégorisation cognitive), alors que les seconds s’exercent sur le plan des émotions, les deux phénomènes menant d’égale manière à des comportements de discrimination. En Belgique, les lois anti-discriminations ne s’appliquent qu’aux comportements, pas aux stéréotypes et aux préjugés. Il n’y a donc pas de plainte possible, sauf s’il y a incitation à la haine. Dans l’école, l’enseignant, qui exerce le rôle d’agent de socialisation, doit faire office de sanctionnateur face à tout propos discriminant.

Quatre orientations

Le processus de construction identitaire des élèves issus de l’immigration s’appelle l’acculturation. Ce terme recouvre « le phénomène résultant du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes, avec des changements subséquents dans les types de cultures originaux de l’un ou des deux groupes ». Pour les personnes nées dans le pays d’accueil, on parle d’enculturation. L’acculturation a un volet formel (qui relève des structures de pensée) et un volet matériel (qui agit sur les contenus matériels).

Pour cerner les orientations de l’acculturation, il convient de croiser les réponses à deux questions. La première est de savoir si la personne est en contact avec son pays d’origine et la deuxième si elle souhaite un contact avec le pays d’accueil. Les quatre orientations qui découlent de ce questionnement sont les suivantes. L’intégration pour les personnes en contact avec pays d’origine et pays d’accueil. L’assimilation pour les personnes sans contact avec le pays d’origine, mais en contact avec le pays d’accueil. La séparation pour les personnes en contact avec le pays d’origine, mais sans contact avec le pays d’accueil. Enfin, la marginalisation pour les personnes sans contact ni avec pays d’origine, ni avec pays d’accueil.

Les facteurs déterminant le type d’acculturation sont d’abord le caractère volontaire ou subi de la migration et la durée de celle-ci (contact passager ou installation structurelle). S’y ajoutent ensuite l’idéologie acculturaliste du pays d’accueil, et, enfin, on vient de les évoquer, les dispositions des individus par rapport à leur identité culturelle d’origine et envers le nouveau modèle culturel.

Un processus en trois temps

Quelle approche utiliser, en tant que pédagogue ? En premier lieu, il convient de se centrer sur la rencontre interculturelle elle-même. Et, en deuxième lieu, il est primordial de prendre en compte la partie immergée de « l’iceberg ». De même, pour surmonter le choc interculturel, il faut adopter une méthode de communication, une forme de va-et-vient entre soi et l’autre, un respect du principe de l’interaction perpétuelle entre son cadre de référence et celui de l’autre, et une attitude générale d’ouverture.

Par ailleurs, développer les compétences interculturelles est un processus qui s’opère en trois temps théoriques. Le premier est la décentration, c’est-à-dire prendre conscience de son propre cadre de référence (sa partie « immergée » à soi), de ce qui est important pour soi (valeurs, etc.), en n’omettant pas de prendre en compte ce qui nous fait souffrance ou nous rend fragile. Le deuxième temps est la compréhension du système de l’autre. Ce moment implique des capacités d’empathie (se mettre à la place de quelqu’un). Et le troisième temps est celui de la négociation/médiation interculturelle. Ce dernier temps exige de s’exercer à cette négociation interculturelle, à en définir les concepts et à citer les différents points qui caractérisent une situation de négociation interculturelle. C’est l’addition de tous ces éléments qui conduisent au compromis, un résultat dont les parties ne sont cependant, par définition, jamais totalement satisfaites.

Dominique Watrin