Rapport annuel 2017 d’Unia : l’emploi, l’enseignement et les discours de haine, objectifs majeurs d’une année riche en chantiers


 

 

 

 

 

 

 

À chaque parution, le rapport annuel d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, prend le pouls de l’évolution de différentes thématiques cruciales pour notre pays. L’édition 2017 ne déroge pas à ce principe. Sur 132 pages, elle dresse l’état des lieux des reculs et des avancées constatées dans différents secteurs dont celui ayant trait à la situation des personnes étrangères ou d’origine étrangère en Belgique.

 

Sur un simple plan statistique, le rapport Unia 2017, c’est un alignement de chiffres qui attestent de l’ampleur de la tâche dévolue à cet organisme. Ce sont précisément 6602 signalements individuels, 2017 dossiers ouverts (ce qui représente une augmentation de 53% en cinq ans), 1533 dossiers clôturés (dont 44% fondés), un délai moyen de résolution des dossiers de deux à trois mois, une solution extrajudiciaire (conciliation, négociation) dans près d’un dossier sur trois, 13 actions en justice, 4 secteurs principalement concernés (l’emploi, les biens et services, les médias et l’enseignement) et 17 critères d’intervention dont les trois les plus représentés sont les critères raciaux, le handicap, et les convictions religieuses et philosophiques.

 

Un monitoring révélateur

Parmi les chantiers majeurs menés à bien en 2017 par Unia figure le monitoring socio-économique. Depuis 2006, le centre interfédéral a investi, avec le SPF Emploi, dans cet outil de mesure et d’aide à la décision permettant de disposer d’une représentation de la position des personnes sur le marché du travail, selon leur origine et/ou leur historique migratoire. La troisième édition de ce monitoring socio-économique a notamment tenté de déterminer dans quelle mesure les faibles résultats des personnes d’origine étrangère en termes de taux d’emploi, de niveau d’activité et de rémunérations découlaient de leur niveau d’instruction supposé plus faible.

Ce travail a mis en lumière que, seules, les personnes d’origine belge parviennent à profiter pleinement des avantages liés à leur niveau d’éducation élevé. Statistiquement, les personnes qui ont un niveau d’éducation élevé mais une origine étrangère ont, en effet, en moyenne un taux d’emploi inférieur de presque 19% à celles d’origine belge, et c’est particulièrement vrai pour les personnes d’origine subsaharienne. Pour les personnes à « faible niveau d’éducation », l’écart entre le taux d’emploi des personnes d’origine étrangère et celui des personnes d’origine belge est plus petit (11%). Cet écart a diminué au cours des dernières années, mais la diminution est davantage due à une détérioration de la situation des personnes d’origine belge qu’à une amélioration de celle des personnes d’origine étrangère.

 

Des écarts toujours significatifs

Au niveau du taux de chômage, le monitoring constate qu’une personne d’origine belge de niveau d’éducation élevé connaît en moyenne un taux de chômage de l’ordre de 3%. Les personnes issues d’un pays du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou d’un pays candidat à l’adhésion européenne, ayant un niveau d’éducation équivalent, connaissent, elles, un taux de chômage supérieur à 15%. Et cet écart se retrouve tout naturellement dans le domaine des salaires. Une personne d’origine belge et d’un niveau de qualification élevé a 57,4% de chances d’obtenir un salaire élevé. À niveau de qualification égal, une personne originaire d’Afrique subsaharienne n’a que 23,9% de chances de percevoir un salaire élevé.

Et la variable genre décuple ces écarts. Le taux d’emploi des femmes d’origine étrangère est nettement inférieur à celui des femmes d’origine belge, qui obtiennent elles-mêmes des résultats bien inférieurs à ceux des hommes, qu’ils soient d’origine belge ou étrangère. Quant au service public, les personnes d’origine belge y prédominent fortement, représentant 77% des travailleurs, alors qu’elles ne constituent que 62% de la population. Et cette donnée connaît d’importantes disparités régionales, les personnes d’origine étrangère étant bien représentées à Bruxelles et sous-représentées en Wallonie et en Flandre.

Aujourd’hui, le taux d’emploi des personnes d’origine étrangère, tout en restant inférieur de 15 à 35% à celui des personnes d’origine belge, augmente favorablement. Mais, s’il existe une tendance à la diminution de cet écart entre personnes d’origine belge et étrangère en matière de taux d’emploi, les écarts entre salaires, eux, augmentent. Selon Unia, il serait opportun que toute cette problématique soit inscrite à l’agenda d’une conférence interministérielle.

 

Des parcours scolaires inégaux

Deuxième chantier majeur épinglé par le rapport 2017 d’Unia, le Baromètre de la Diversité consacré, cette fois, à l’enseignement. Dernier volet d’un triptyque après l’emploi (en 2012) et le logement (en 2014), cette étude s’est penchée sur un domaine considéré comme un maillon essentiel de l’insertion sociale des individus et de la lutte contre l’exclusion. Réalisée en collaboration avec la KULeuven et l’UGent pour son volet flamand et l’ULB-GERME pour le volet francophone, ce document comprend trois parties.

Dans la première, les chercheurs dressent un état des lieux de la connaissance en matière de diversité et d’égalité dans l’enseignement obligatoire. Celui-ci confirme l’existence de parcours scolaires inégaux, notamment pour les élèves d’origine étrangère. Dans la deuxième partie, le Baromètre sonde les directions d’école et les enseignants sur les politiques et les pratiques développées, ainsi que sur les moyens mis à disposition pour appréhender la diversité dans les classes. Enfin, dans la troisième partie, ce sont les pratiques d’orientation (vers l’enseignement général, technique ou professionnel) qui sont passées à la loupe. Ce dernier volet met en évidence que les stéréotypes et les représentations sur l’origine (ethnique, nationale ou sociale) des élèves influent sur les avis d’orientation des directions et des enseignants.

La conclusion en est que des mécanismes de discrimination jouent donc effectivement un rôle à des moments cruciaux dans le parcours scolaire des élèves, bien souvent indépendamment de la conscience des acteurs concernés. Dans ses recommandations, Unia souligne notamment l’attention particulière à porter à certains enfants parmi lesquels les primo-arrivants. En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’accueil de ces élèves primo-arrivants est réglé par un décret de 2012 organisant le DASPA (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants). Unia se joint, sur ce plan, aux acteurs de terrain qui demandent une évaluation de ce système, cinq ans après sa mise en œuvre.

Par ailleurs, Unia réitère son attachement à la promotion des compétences transculturelles au sein des hautes écoles. Dans ce cadre, le centre interfédéral se penche, depuis plusieurs années, sur le secteur de la santé et des soins aux personnes. Selon lui, la promotion de ces compétences auprès du personnel soignant et leur inscription dans la formation des étudiants en soins infirmiers sont devenues essentielles pour la prise en charge des patients.

 

Haro sur les discours et les actes de haine

Un autre secteur où la vigilance d’Unia s’est particulièrement manifestée en 2017, c’est les discours et actes de haine. En matière de discours, Unia met l’accent, depuis plusieurs années, sur deux axes de travail : renforcer les capacités individuelles d’analyser ces discours et d’y réagir de manière adéquate (via notamment la participation à divers réseaux développant des outils de prévention, de sensibilisation et de contre-discours) et accentuer sa lutte dans le domaine en renforçant sa collaboration avec les principaux opérateurs des réseaux sociaux.

Dans ce domaine précis, Unia s’est joint à plusieurs organisations, mobilisées par la Commission européenne, pour inciter Facebook, Twitter, Youtube et Microsoft à décupler leurs efforts de lutte contre la cyberhaine. Le dernier rapport de la Commission européenne souligne des évolutions positives constatées sur base d’un code de conduite conclu avec ces opérateurs. Les entreprises concernées ont supprimé en moyenne 70% des discours haineux illégaux qui leur avaient été signalés, pourcentage qui s’élevaient respectivement à 28 et 59% en 2016 et mi-2017. Ce document mentionne le rôle déterminant de signaleurs de confiance tels qu’Unia.

 

Les dossiers « raciaux » encore en hausse

Sur le plan individuel, Unia a enregistré, en 2017, une augmentation significative du nombre de dossiers ouverts sur base de trois critères : la santé (+52,9%), les capacités financières (+34,4%) et… les critères dits « raciaux » (+12%). Alors que le nombre de dossiers individuels ouverts par Unia a augmenté de 5,8%, ceux liés au racisme et à la discrimination raciale ont, en effet, connu un bond du double de pourcents. Pour le centre interfédéral, cette augmentation démontre à quel point la question de la résurgence du racisme est devenue plus prégnante aujourd’hui.

Au niveau des secteurs concernés, environ 7 dossiers sur 10 concernent trois domaines spécifiques : les médias (essentiellement à travers les discours de haine sur Internet et les médias sociaux), l’emploi, et le secteur des biens et services (essentiellement le logement). Statistiquement, ces secteurs représentent, dans l’ordre, 24,9%, 24% et 19,9% de l’ensemble des dossiers.

Pour Unia, les voyants restent largement au rouge en ce qui concerne la problématique de la discrimination envers les musulmans en Europe. Selon un rapport de l’Agence fondamentale des droits de l’Homme publié en 2017, 17% des personnes musulmanes interrogées estiment avoir été discriminées dans l’emploi, le logement ou l’enseignement, sur base de leurs convictions religieuses, au cours des cinq dernières années. Il s’agit d’une augmentation par rapport au chiffre précédent de 2008 (10% à l’époque).

Par contre, le chiffre relatif au nombre de dossiers individuels liés aux convictions religieuses qui avait flambé en 2016 (+18%), sans doute en lien avec les attentats survenus cette année-là, est revenu aux niveaux observés durant les cinq années antérieures. Avec des secteurs concernés qui n’évoluent guère. On retrouve en tête de ceux-ci les discours haineux en ligne (4 dossiers sur 10) et l’emploi (un quart des dossiers), des proportions strictement identiques.

Détail interpellant, le taux de rapportage de faits de discrimination par les personnes musulmanes en Belgique (9%) est un des plus faibles d’Europe (12% en moyenne). Un chiffre qui se révèle paradoxal si on le met en corrélation avec le fait que la Belgique figure eu quatrième position du classement en ce qui concerne le taux de connaissance, par les personnes musulmanes d’origine nord-africaine, de l’existence d’une organisation pouvant les défendre en cas de discrimination.

Dominique Watrin