Le rapport annuel 2016 d’Unia est sorti : critères raciaux et convictions religieuses toujours dans le Top 3 des facteurs de discrimination


Même si le bilan qu’il contient se rapproche davantage d’un ensemble d’indicateurs de tendances que d’un aperçu approfondi de son action au cours d’un exercice, le rapport d’UNIA (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) est un document fort attendu par les professionnels de différents secteurs institutionnels et associatifs. Sa version 2016 qui vient d’être publiée n’échappe pas à la règle.

Comme celui des années précédentes, le rapport 2016 d’UNIA, c’est d’abord une série abondante de chiffres. Bruts ! Et le paramètre le plus significatif atteste de l’ampleur du chemin à parcourir en matière d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Il s’agit du top 3 des critères de discrimination pour l’année écoulée. On y retrouve, par ordre décroissant, les critères « raciaux » (en tête avec 698 dossiers), le handicap (487 dossiers) et les convictions (390 dossiers parmi lesquels une majorité liés à l’islam). Sur un total de 2095 nouveaux dossiers traités, les critères « raciaux » et les convictions religieuses et philosophiques représentent respectivement 32% et 19% des cas. Au niveau des domaines de discrimination, prennent place dans le top 3 l’emploi (504 dossiers), les biens et services (500 dossiers) et les médias (334 dossiers).

Le rôle majeur des attentats

En 2016, Unia a enregistré 5619 signalements de discrimination, messages haineux et délits de haine dont 1907 ont débouché sur l’ouverture d’un dossier. Il s’agit d’une hausse majeure de 23% par rapport à l’année précédente (4554 signalements). En termes de critère, 1647 de ces signalements concernaient des critères dits « raciaux », soit une augmentation de 10% par rapport à 2015. Le rapport d’Unia pointe le rôle majeur joué par les attentats de Zaventem et Bruxelles dans la multiplication des faits de discrimination et d’agressions tant verbales que physiques enregistrée en 2016, même s’il note que la réaction citoyenne générale est allée davantage dans le sens d’un refus des amalgames.

Au niveau des critères « raciaux », l’augmentation du nombre de dossiers (698, pour rappel) a été de 6% par rapport à 2015. Cette augmentation a concerné tous les secteurs, à l’exception de l’enseignement et des médias. Petit bémol, les médias, et en particulier Internet et les réseaux sociaux, sont toutefois restés en tête des dossiers ouverts (177 dossiers). Hormis les médias, ce sont les dossiers liés à l’emploi ainsi qu’aux biens et services qui sont les plus présents. Pour l’emploi, ils concernent surtout des problèmes de harcèlement à caractère discriminatoire, de refus d’embauche ou de licenciements. Pour les biens et services, il s’agit surtout de refus de location de logement, d’insultes dans les commerces et de refus d’accès à des discothèques ou des cafés.

La même tendance en termes d’augmentation et de secteurs a été observée pour les dossiers liés aux convictions religieuses et philosophiques. Là, c’est le domaine des médias (158 dossiers sur 390) qui émerge spectaculairement, suivi loin derrière par ceux de l’emploi (88 dossiers) et des biens et services (45 dossiers). En terme quantitatif, le rapport épingle des hausses fulgurantes des dossiers liés aux critères « raciaux » (+41%) et « convictionnels » (+73%) dans le domaine des biens et services. Une augmentation qui se retrouve dans le domaine de la police et de la justice (+56% de dossiers liés aux critères raciaux et +57% de dossiers liés aux convictions) et dans le domaine de l’emploi (+15% pour les dossiers « raciaux » et +91% pour les dossiers « convictionnels »).

Une intensification de la collaboration internationale

Unia a également observé une augmentation croissante du nombre de dossiers en lien direct avec les attentats, qu’il s’agisse des enquêtes effectuées autour de ces derniers ou, plus simplement, des interventions opérées pour prévenir les actes terroristes ou la radicalisation. Entre 2010 et 2014, seulement un ou deux dossiers par an déposés auprès d’Unia concernaient ce domaine. En 2015, ce nombre a été multiplié par cinq, suite aux attentats de Paris. En 2016, il a concerné 44 dossiers.

Parallèlement, parmi les faits présumés racistes signalés en 2016, Unia a enregistré une augmentation particulièrement marquée des faits d’antisémitisme (+105%, soit 109 faits). Il s’agit de la troisième fois en dix ans que le total des faits avoisine ou dépasse les 100 signalements. Ça avait été le cas en 2009 et 2014, mais ces pics étaient clairement liés aux opérations militaires menées par Israël, ce qui n’est pas le cas en 2016, même si le conflit israélo-palestinien continue à alimenter l’hostilité de certains envers les Juifs.

En 2016, Unia a poursuivi son travail de traitement des dossiers individuels concernant la haine en ligne. Alors qu’en 2015, ces derniers ciblaient davantage les réfugiés et demandeurs d’asile, en 2016, ils visaient assez clairement le terrorisme et, plus précisément, l’amalgame entre étrangers/musulmans et terrorisme. Pour Unia, la voie judiciaire est jugée comme souvent inadaptée à la lutte contre la haine en ligne, principalement à cause de l’instantanéité du net. C’est la raison pour laquelle il privilégie les procédures extrajudiciaires qui offrent de meilleures chances d’une solution durable et structurelle, contribuant ainsi à prévenir les discriminations. Cette option extrajudiciaire offre, en outre, l’avantage d’apporter des solutions plus rapides aux personnes discriminées.

Au rayon précisément de la lutte contre les messages de haine, la collaboration internationale s’est intensifiée en 2016, selon Unia. Un code de bonne conduite a été signé entre la Commission européenne, Facebook, Twitter, Youtube/Google et Microsoft pour enrayer le phénomène. De son côté, Unia fait désormais partie des « trusted partners/reporters » de Facebook et Twitter, statut qui lui garantit une attention privilégiée en cas de transmission de notifications à ces réseaux. Il est désormais également consulté par ces entreprises sur des questions ayant trait à la législation belge.

Un instrument pour prouver la discrimination au logement

Le rapport d’Unia relève aussi que la discrimination en matière de logement reste préoccupante. En 2016, il a reçu 421 signalements de discrimination sur le marché locatif privé et, parmi ceux-ci, 163 (soit 38%) avaient trait à l’origine « raciale ». La clé dans ce domaine reste bien évidemment la question de la preuve. C’est la raison pour laquelle, en 2016, Unia a présenté aux partenaires et associations du secteur du logement un instrument destiné à prouver les traitements discriminatoires lors de la recherche d’un logement. Cet outil intitulé « Prouver une discrimination dans le logement » est disponible pour le public, sur le site www.unia.be, à la rubrique « Sensibilisation et Prévention ».

Dans un autre registre, Unia constate que nombre d’hôpitaux et d’établissements de soins s’interrogent sur la façon d’appréhender la diversité croissante en tant que professionnels de la santé, considérant que répondre aux besoins des patients issus de l’immigration est une tâche complexe. Pour le centre interfédéral, cette compréhension peut être obtenue en abordant les soins médicaux dans une optique transculturelle, en comprenant l’univers et le contexte personnel du patient issu de l’immigration et en traitant ce dernier en conséquence. Suivant cette ligne de conduite, certaines hautes écoles ont aujourd’hui déjà intégré la notion de soins attentifs à la culture.

Police et justice également sous surveillance

Enfin, dans le domaine « police/justice », Unia a ouvert 91 dossiers en 2016, soit 30 de plus que l’année précédente. Au sein de ceux-ci, 73% concernaient la police, 18% la justice et 9% les lieux de détention. Si l’on se réfère à un découpage des dossiers police/justice de 2016 par critère de discrimination, on constate que près de 63% concernaient des critères « raciaux » et environ 11% les convictions religieuses et philosophiques. Unia observe, à ce propos, que, si la police est un allié et un partenaire dans la lutte contre les infractions aux législations antidiscriminatoires, force est de constater que certains policiers ont parfois eux-mêmes des comportements en contradiction avec ces législations.

Preuve de la vigilance du centre interfédéral face à ce genre de dérapage, il s’est constitué partie civile contre des policiers dans trois dossiers en 2016. Dans ce secteur comme dans d’autres, Unia opte pour cette solution judiciaire quand la voie extrajudiciaire s’avère impossible et que l’affaire revêt une importance particulière sur le plan judiciaire. C’est le cas lorsqu’il s’agit, par exemple, d’établir un précédent ou de faire préciser la législation, ou lorsque les faits sont particulièrement graves.

De même, en 2016, la pratique du profilage ethnique dans le travail de la police a, une nouvelle fois, fait débat et retenu toute l’attention d’Unia. Cette technique consiste à se baser sur des caractéristiques ethniques ou des éléments liés à l’origine ou la conviction religieuse supposée de la personne, sans justification objective, pour déterminer qui doit être contrôlé en priorité dans le cadre d’opérations de recherche ou de maintien de l’ordre. Malheureusement, l’ampleur de ce phénomène n’a pas encore fait l’objet d’une étude approfondie en Belgique.

Dominique Watrin