Post-colonialisme et discrimination raciale : « il faut instaurer un antiracisme politique »


La discrimination raciale peut prendre différentes formes et toutes entraînent, à chaque fois, la même question récurrente : le racisme est-il un phénomène inéluctable ? La Plateforme Agir pour un Vivre Ensemble Egalitaire (PAVEE, en abrégé) s’est à nouveau posée la question, à travers une conférence organisée avec le soutien du CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), sur le thème de « Post-colonialisme et discrimination raciale : les dégâts visibles et invisibles ». L’idée maîtresse de son orateur, le journaliste et écrivain Kalvin Soiresse Njall, ex-coordinateur du collectif « Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations », sonne comme un plaidoyer plein d’espoir qui peut se résumer en une phrase : non, le racisme n’a pas toujours existé !

Le propos de Kalvin Soiresse Njall démarre comme un coup de tonnerre sur certaines certitudes : le racisme est un système dont il faut examiner les causes et les solutions. Et, pour ce faire, il convient de regarder dans le passé. Autrement dit, il faut prendre en compte les éléments historiques pour le déconstruire durablement. Et d’expliquer : au 16ème siècle, les gens étaient différents. Rembrandt, par exemple, peignait déjà des Noirs. Selon lui, les événements ne proviennent pas de nulle part. Le génocide rwandais, par exemple, s’est enraciné dans la politique menée sur place par l’Allemagne qui a déstructuré un pays bien structuré. Même si les Rwandais ont leur responsabilité dans le drame, les Allemands ont figé les clichés identitaires, répartissant la population entre Hutus et Tutsis, sur base de critères physiques. Avec les conséquences ultérieures que l’on connaît…

Légitimer l’esclavage

Pour Kalvin Soiresse Njall, le racisme est un système identitaire né au 16ème siècle et est le fruit du capitalisme financier dont les ténors étaient à l’époque l’Espagne et le Portugal. Ces puissances ont tout mis en place pour dominer le monde, en s’appuyant au passage sur l’autorité écrasante du Pape. L’une des conséquences en fut la mise à sac de la civilisation des Amérindiens, accompagnée de massacres, viols et de maladies importées qui dévastèrent les populations locales. Dans ce contexte de l’époque, le temps-fort a été ce qu’on a appelé la controverse de Valladolid. La question au centre de celle-ci était de savoir si les puissances mondiales comme l’Espagne pouvaient coloniser les « indigènes », avec comme justification de mettre fin à des pratiques comme le sacrifice humain, ou si les sociétés amérindiennes étaient légitimes malgré de telles pratiques. Avec, en filigrane, l’objectif de trancher officiellement sur la légitimité ou l’illégitimité de l’esclavage des peuples locaux.

C’est à partir de ce moment que les mots « Blanc » ou « Noir » ont été créés pour désigner les gens. Cette distinction a remplacé celle basée sur les classes sociales en cours depuis des siècles, les gens étant jusqu’alors divisés entre les nobles (parmi lesquels il y avait des Blancs et des Noirs), les esclaves, etc. Le racisme a donc été créé pour légitimer l’esclavage. C’est la raison pour laquelle, selon Kalvin Soiresse Njall, on ne peut parler de racisme anti-Blancs, mais de haine anti-Blancs, les Blancs n’ayant jamais été victimes de l’esclavage.

Un projet décrié au départ

Pour l’intervenant, le racisme a connu différentes déclinaisons et la colonisation a joué un rôle fondamental dans sa perpétuation. En ce qui concerne la Belgique, le phénomène a démarré dès 1870, bien avant la date officiellement citée de 1885 marquée par la Conférence de Berlin qui a entériné le partage et la division de l’Afrique entre puissances européennes. Kalvin Soiresse Njall rappelle qu’au départ, la population belge n’était pas favorable au projet colonial ; celle-ci trouvait globalement qu’il y avait assez de pauvreté à traiter dans le pays pour que ce dernier n’investisse pas dans ce projet au coût exorbitant. Pour convaincre, le pouvoir en place a donc entrepris de soudoyer des journalistes et de souder le peuple autour d’un ennemi commun : l’Arabe, terme alors limité à la désignation des populations de la péninsule arabique.

Ce terreau qui a été à la source de l’islamophobie en Belgique a servi les desseins du pouvoir dont l’objectif a été le commerce de l’ivoire, puis du caoutchouc et de toutes les ressources naturelles présentes sur place. Il s’agit donc de décisions prises au sommet de la pyramide de l’État qui ont atteint la population via l’action des médias et les opinions façonnées notamment par l’enseignement dans les écoles.

Raisonner sur une base systémique

Au départ de ces constats historiques, Kalvin Soiresse Njall insiste sur le fait qu’il convient d’aborder la question de la discrimination raciale dans le cadre du post-colonialisme sur une base systémique. Selon lui, on baigne encore aujourd’hui grandement dans une phase d’antiracisme paternaliste dans lequel des Blancs gèrent, en grande partie, la problématique au nom des Noirs. Et sa question est : en quoi cette façon d’agir autonomise-t-elle la victime ?

Sur le plan pratique, l’intervenant déplore qu’il existe des secteurs où le racisme est actuellement criant. C’est le cas en matière de logement. Les opérations de « testing » présentent toujours régulièrement le même type de résultats : à un Noir candidat à une location, on dit que le logement est loué, à un Blanc, on propose une visite. Le constat est également vrai en matière d’emploi. Pour un travail dans un call center, il est répondu à des candidats noirs qu’ils n’ont pas le « bon accent », alors que la seule exigence de base est de parler de manière claire et intelligible.

Kalvin Soiresse Njall constate qu’aujourd’hui, il y a un retour du suprémacisme blanc qui induit que, de plus en plus, le racisme est décomplexé et que les tenants de cette vision osent s’exprimer. Face à ce fléau, l’antiracisme judiciaire et policier ne fonctionne pas, estime l’intervenant. Il en prend pour preuve que près de 90% des plaintes déposées via le MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie) sont classées sans suite, même lorsqu’elles sont étayées par des témoignages et des constats de police. Selon lui, la lutte contre le racisme n’est pas une priorité politique et il faut que ça le devienne. Et de souligner la position fragile des femmes qui subissent des doubles ou triples discriminations, par exemple, lorsqu’elles sont femmes, noires et portent le voile.

Des maternelles à l’université

L’orateur énumère plusieurs solutions pour mettre fin à cette discrimination raciale. La première est de remettre au cœur du système l’antiracisme politique. La question est cependant, selon lui, de savoir comment les classes dirigeantes les plus conservatrices vont accepter de lutter structurellement contre le racisme ? Il propose, dès lors, une auto-organisation des antiracistes pour se créer des moyens de pression politique et mettre sur pied des groupes de veille. Et la pression politique pourrait, par exemple, à ses yeux, prendre la forme d’une présence au Parlement lorsque des questions comme celle de la décolonisation y sont évoquées.

Une autre solution majeure qu’il entrevoit est l’éducation. Il faut enseigner l’invention du racisme et ne plus se contenter de dire que c’est un changement des mentalités qu’il faut opérer, mais comprendre que c’est un changement structurel qu’il faut enclencher. Il suggère aussi d’enseigner l’histoire de la colonisation pour faire, entre autres, comprendre que les Africains n’ont pas attendu la colonisation pour avoir une grande civilisation. Au 16ème siècle, Tombouctou avait déjà son lot d’universités, de savants et d’inventeurs. Toute cette effervescence intellectuelle a été décimée par l’esclavage. Et cet enseignement, martèle-t-il, doit traverser toutes les périodes d’âge, des maternelles à l’université.

Dominique Watrin