Une matinée d’information et d’interpellations pour rappeler le lien indéfectible entre justice sociale et justice migratoire


Faut-il choisir entre la justice sociale et la justice migratoire ? C’est à une matinée d’information et d’interpellations centrée sur cette question que le CeRAIC (Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre) a pris part, aux côtés de différentes organisations parmi lesquelles les syndicats CSC et FGTB, UNIA (Centre interfédéral pour l’égalité des chances) et le CNCD-11.11.11. Cette séance à laquelle étaient conviés les représentants des villes et communes de la région a surtout été l’occasion de rappeler collectivement la lente dégradation du sort des migrants, tant en Belgique que dans l’Union européenne.

Plusieurs intervenants ont pris la parole dans cette assemblée dont les leitmotivs ont été la reformulation de l’existence d’une situation critique et la mobilisation urgente contre des options politiques jugées intolérables. Premier orateur à s’exprimer, Freddy Bouchez, membre de la Marche des Migrants, a réaffirmé l’attention de son association de défense des migrants aux politiques sociales menées qui, selon lui, excluent pas mal de monde des droits sociaux. L’intervenant a d’abord énuméré les étapes successives de la régression en matière de droits sociaux, comme la réforme du minimex en 2002 (revenu d’intégration sociale obtenable en échange d’un projet individualisé d’intégration) ou la réforme des allocations de chômage à partir de 2004 (avec un accompagnement contractualisé qui induit une contractualisation des droits et un risque d’exclusion, et qui rend l’allocataire responsable de sa situation).

Un glissement terminologique révélateur

Pour Freddy Bouchez, cette volonté de déréguler les droits du travail répond à la même logique que celle qui prend place dans le parcours d’accueil des primo-arrivants. Celle-ci se résume, selon lui, à la signature d’un contrat contraignant (une convention, dans ce cas) ouvrant sur une possibilité de sanction. Cette situation soumet les réfugiés à une double contractualisation, puisque la convention est transcrite dans leur contrat CPAS, avec possibilité de suspension des droits. Cette mutation s’est inscrite, d’après lui, jusque dans les mots, puisqu’on est passé de la terminologie de « parcours d’accueil » à celle de « parcours d’intégration » qui sous-entend qu’il y a de mauvais étrangers qui ne veulent pas s’intégrer et qu’il faut les forcer à le faire sous peine de sanction.

À cela s’ajoute des mesures comme la possibilité de visite domiciliaire dans le cadre des contrôles CPAS et, pour les sans-papiers, un projet de loi permettant de les arrêter à leur domicile pour les mettre en centre fermé et les expulser. Pour Freddy Bouchez, les lois ont fragilisé le statut du réfugié qui peut être remis en cause en cas de délit ou d’infraction. « C’est un problème de démocratie, insiste-t-il, car il faut savoir que la simple participation à un piquet de grève peut être considérée comme un danger social. Sans compter qu’il existe aussi une mesure de levée du secret professionnel visant à la dénonciation par les travailleurs sociaux de comportements jugés suspects. Or, il faut savoir que la situation d’exclusion des précarisés les pousse dans l’illégalité, favorisant le travail au noir et l’émergence de l’économie informelle. »

Une alternative aux politiques européennes

Cécile Vanderstappen, chargée de recherche et de plaidoyer Migrations et Développement au sein du CNCD-11.11.11, a tenu à resituer la justice migratoire comme une alternative à l’orientation restrictive et répressive des politiques migratoires européennes. Elle a qualifié la politique migratoire de l’Union européenne d’inefficace, dangereuse et coûteuse, en s’appuyant sur trois constats : les décès, disparitions et violences enregistrées sur les routes migratoires vers l’Europe, l’accueil inégal et non solidaire des migrants, et la situation de pénurie de certains métiers et de vieillissement de la population active connue par l’Europe.

Sur cette base, l’intervenante a d’abord mis en parallèle les réponses politiques de l’Union européenne à la question des migrants et les réponses correspondant à une justice migratoire. Côté européen, elle épingle l’idée de sauver des vies en luttant contre les passeurs et la lutte contre ce qui pousse les gens à quitter leur pays (comme, par exemple, le développement durable). Les outils mis en place par l’Union européenne sont le contrôle des frontières (via l’agence Frontex), l’externalisation de la gestion des frontières, l’instrumentalisation de l’APD (aide aux pays en développement) ou les critères d’obtention de visas qui sont inaccessibles et opaques.

Côté justice migratoire, elle préconise plus de voies sûres et légales afin de faciliter l’obtention de visas, le respect du droit international et des droits fondamentaux (l’asile au détriment du refoulement), le refus de l’instrumentalisation de l’APD et des coupes dans ses budgets, et la transparence dans les négociations des accords entre l’Union européenne et l’Union africaine. L’idée maîtresse de cette position est que, si les migrants avaient un accès légal au territoire, ils n’utiliseraient pas les voies irrégulières qui sont beaucoup plus coûteuses et plus dangereuses pour eux. Ce qui va à l’encontre, selon elle, de la position européenne qui privilégie les projets de gestion et de contrôle des migrants en amont plutôt que les projets de développement durable.

Un processus solidaire permanent

Ensuite, Cécile Vanderstappen opère la même analyse à propos de l’accueil des migrants qu’elle juge inégal et non solidaire. Pour étayer ce constat, elle énumère les réponses de l’Union européenne qui comprennent l’approche avec des « hotspots » (« centres de tri » des migrants), l’enfermement et le retour au pays (expulsions et retours volontaires), l’utilisation du règlement de Dublin (selon lequel la demande d’asile doit être instruite dans le premier pays d’accueil), l’échec de la relocalisation des migrants, ainsi que la criminalisation et la stigmatisation des migrants (dissuasion, création de campements informels, situation de bouc émissaire, etc.), autant de politiques qui coûtent très cher au gouvernement belge. À cela, elle oppose à nouveau la justice migratoire qui prône un processus solidaire permanent d’accueil, un arrêt de la logique de tri, une fermeture des centres fermés, une révision du règlement de Dublin, une augmentation du nombre de réinstallations, et des critères clairs et permanents pour les visas humanitaires.

Sur la question des métiers en pénurie et de la population active vieillissante de l’Union européenne, la chargée de recherche du CNCD-11.11.11 fustige également les réponses de l’Union européenne qui conjugue l’immigration choisie, la non régularisation des sans-papiers, la discrimination à l’embauche et la baisse de l’égalité des chances. À l’opposé, elle rappelle la position de justice migratoire qui souhaite l’ouverture de voies migratoires sûres et légales, l’application des normes internationales du travail qui induisent une protection, la mise en place de la norme « À travail égal, salaire égal » en lieu et place du dumping social, la rupture du lien entre le permis de séjour et le permis de travail, et l’augmentation de l’égalité des chances, via notamment l’équivalence des diplômes ou la facilitation de l’accès au parcours d’intégration.

Toutes ces mesures équivalent, selon elle, à la mise en pratique de trois principes importants : le respect des droits humains, le principe d’égalité/équité et la solidarité en matière d’accueil et de partage des ressources naturelles. Ces options s’opposent à trois injustices flagrantes : les inégalités sociales, l’absence d’accueil et les discriminations, notamment en terme de genre, les femmes, mais aussi les MENA (mineurs étrangers non accompagnés) subissant le plus de violences. Pour faire pression, le CNCD-11.11.11 a défini une campagne de sensibilisation qui s’articule en quatre axes. Celles-ci sont : la lutte contre les inégalités pour que chacun puisse vivre dignement, la mise en place de voies d’accès légales et sûres au sol européen, l’instauration de l’égalité des droits pour renforcer la cohésion sociale, et la diffusion d’un discours positif et juste sur les migrations.

Dominique Watrin