L’inclusion scolaire des migrants : une facette particulière de la nécessité d’une cosmopolitisation de la société


Quoi qu’en disent ou pensent certains, les migrants occupent une place réelle dans tous les compartiments de la société. Comme pour les autochtones, l’un de leurs passages les plus déterminants est l’école, puisque c’est cette dernière qui détermine grandement à la fois leur trajectoire professionnelle et leur socialisation. C’est en s’inspirant de ce constat important que la Haute École en Hainaut a mis sur pied, sur son campus pédagogique de Mons, une matinée d’étude autour de la question de « L’inclusion scolaire des publics migrants ». Un événement auquel le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) et le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre) ont apporté leur appui.

Sociologue formée à Bordeaux et professeure à la Haute École de travail social et de la santé de Lausanne, Bhama Peerun Steiger a apporté un premier éclairage sur la thématique. Auteure d’une étude sur le « Parcours scolaire d’enfants de couples mixtes suisse-mauriciens », elle a présenté les pistes théoriques découlant d’une étude de cas qu’elle a menée.

Pour elle, le contexte général de l’inclusion scolaire est très important. Celui-ci a fondamentalement changé. Au niveau technologique, il y a eu une profonde mutation symbolisée notamment par les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, au premier desquels on retrouve les réseaux sociaux virtuels), une révolution technique qu’il faut transformer en moyen d’innovation sociale. Les primo-arrivants reçoivent, par exemple, une masse d’informations dont toutes ne sont pas adaptées à leur cas personnel. La technologie a permis la création d’une nouvelle application dans laquelle chaque personne rentre ses données et reçoit uniquement les informations relatives à sa situation personnelle.

Sur le plan économique, le libéralisme qui s’est étendu à partir des années 80 a eu, entre autres, comme effet pervers de renforcer l’iniquité Nord-Sud, au désavantage des ressortissants des pays du Sud. Ces rapports de force sont à rééquilibrer. Et, enfin, au niveau politique, la Suisse a connu, comme d’autres pays, un glissement vers une immigration choisie, avec notamment des accords conclus afin de renvoyer les ressortissants non désirés vers leur pays d’origine. L’époque actuelle se caractérise, selon la professeure, par beaucoup de déplacements humains engendrés par la guerre, la famine, la crise du travail, le mariage, etc. Cela engendre un phénomène de globalisation-mondialisation, qui a pour conséquence que les problèmes d’un pays se répercute sur d’autres, phénomène qui crée une uniformisation et une universalité, soit une manière de penser le monde de manière globale.

Entre visibilité et invisibilité

Bhama Peerun Steiger tient à distinguer inclusion et intégration, deux concepts qui se confondent selon elle. La première consiste à « donner une place » et la seconde consiste à « être accepté dans ». Autrement dit, parler de l’intégration revient à poser la question de « Comment faire pour être accepté dans un groupe différent ? » et cache parfois une forme d’assimilation. Sur cette distinction qui concerne tous les migrants, se greffe la cohabitation entre la visibilité (la couleur de peau, le nom, la langue, etc.) et l’invisibilité (le statut, le nom lorsque la personne est de mère étrangère et de père autochtone, etc.) Dans ce contexte, le fil fragile sur lequel il convient de marcher consiste à ne pas rejeter la différence de l’autre, mais à reconnaître cette différence. En tenant compte qu’il est essentiel qu’il y ait de la visibilité pour agir…

L’approche théorique de l’auteure de la recherche a reposé sur l’interview de cinq jeunes (deux filles et trois garçons), âgés de 17 à 25 ans, nés et socialisés en Suisse, ayant terminé le cycle de scolarité obligatoire (jusque 16 ans en Suisse) et dont le niveau de scolarité des mères (toutes Mauriciennes) est de niveau primaire ou universitaire. Il s’agit donc d’enfants liés à une communauté qui n’est pas une grande classe générique (comme les Noirs, les Arabes, etc.).

Qu’a-t-elle constaté ? D’abord que la culture de masse d’aujourd’hui favorise la socialisation et l’intégration. La palette de possibilités est plus large pour tous, l’individu est plus aidé à se socialiser, mais il doit se socialiser par l’immersion. Le déclin des institutions et le fait que l’école n’a plus le rôle et la place « sacrée » qu’elle a occupés à une époque font que l’individu est davantage livré à lui-même pour se forger sa place, ce qui fait peser une grosse responsabilité sur ses épaules.

Quitter la vision binaire

La chercheuse épingle ensuite le rôle des assignations identitaires. Il existe un regard posé sur l’individu qui lui attribue une position sociale, et les jeunes issus de « l’entre-deux » (suisse-mauriciens, dans ce cas) ont une difficulté plus grande à se forger une place. Le témoignage des jeunes interviewés atteste qu’ils ne se sont jamais sentis différents, jusqu’au moment où le regard des autres les ont fait se sentir différents. Dans ce contexte, la culture devrait être un vecteur de rassemblement, un outil pour mieux s’adapter à la nouvelle transformation de la société, mais cela exige une gestion de la multiplicité de celle-ci et le développement de compétences interculturelles des personnes pour transformer les différences qui les ont fait souffrir étant jeunes en compétences.

Pour la sociologue, il est, par conséquent, essentiel de passer d’une catégorisation binaire (les autochtones et les étrangers) à une vision holistique de la société. Alors que les jeunes issus de l’immigration connaissent une faible réussite scolaire, elle a constaté que les enfants de l’entre-deux réussissent très bien. Elle attribue notamment ce succès à l’importance de la réussite scolaire pour les mamans. Pour elle, il est, dès lors, primordial de glisser vers une société totalement inclusive et cosmopolite. « Il y a une nécessité de la cosmopolitisation de la société, martèle-t-elle. Pour l’instant, il y a les inclus et les exclus. Mais, dans les faits, ces derniers sont également inclus. La question à se poser est « Comment construire un vivre ensemble ? » Chacun doit se questionner lui-même pour contribuer au vivre ensemble pour tous. L’individu de l’entre-deux ne doit pas être inclus. Il est de fait inclus, puisqu’il est membre de l’école, etc. C’est le cosmopolitisme. »

Un énorme gaspillage humain

Le second focus sur l’inclusion scolaire des publics migrants a été opéré par Altay Manço, psychosociologue et directeur scientifique de l’IRFAM (Institut de Recherches, Formations et Actions sur les Migrations), chargé d’évoquer la question de « Descendants d’immigrés : le parcours du combattant de l’école à l’emploi ». Et d’emblée l’intervenant a posé un constat sans concession sur ce parcours, celui d’un énorme gaspillage humain supporté par tous. Et de citer quelques chiffres significatifs : en France, 20% des jeunes nés de parents immigrés sont NEET, une abréviation qui désigne les jeunes décrochés qui ne sont ni dans l’enseignement, ni à l’emploi, ni en formation. Dans l’Union européenne, le taux de chômage est de 20% pour les jeunes issus de l’immigration, contre 14% pour les jeunes non issus de l’immigration. Et, dans le Benelux cette différence entre issus et non issus de l’immigration est trois fois plus élevée. Enfin, sur un plan plus spécifique, en Belgique, 50% des migrants congolais sont de formation supérieure, tandis que 75% de leurs enfants sont… dans l’enseignement professionnel.

Pour réduire la ségrégation dans le système éducatif, le psychosociologue propose une série de mesures à appliquer à trois niveaux : le macro-système, le méso-système et le microsystème. Au premier niveau, il propose d’introduire des mesures sur base d’une liste de constats. Le premier est que la Belgique qui applique le choix total sur le plan scolaire fonctionne avec un véritable marché scolaire et un système de concurrence entre écoles. Ce fonctionnement va à l’encontre de l’observation qui veut que là où les États sont plus interventionnistes, la constitution d’écoles ghettos est plus limitée. Et d’autres éléments d’analyse sont à prendre en compte. En priorité, celui qui veut que plus le tronc commun est allongé, plus l’équité scolaire est grande. Mais aussi ceux qui prônent l’allocation de ressources à la formation des migrants et le renforcement de l’apprentissage de la langue d’enseignement.

Impliquer les employeurs

Selon le chercheur, les systèmes scolaires qui réussissent la transition vers l’emploi sont ceux qui impliquent les employeurs. Au niveau du méso-système, il conseille donc l’application d’une évaluation par des partenaires indépendants (incluant une validation/certification des compétences acquises), la mise en place d’un système de mentorat (avec des bénévoles pour aider les jeunes à s’orienter) et une formule d’alternance (entre formation de base théorique scolaire et une expérience pratique du travail).

Enfin, au troisième niveau, celui du microsystème, le directeur scientifique de l’IRFAM énumère divers ingrédients d’un bon projet de transition entre l’école et l’emploi. Sur le plan des pratiques dans l’école, il cite notamment : le fait de travailler avec tous (y compris ceux qui ne parlent pas la langue), d’être réactif, de travailler les attitudes et le savoir-être, d’externaliser les problèmes, d’aider les professionnels, de créer du lien, de travailler dans la confiance et sous forme de contrats personnalisés, d’accompagner de manière globale, de viser la qualité, l’écoute et l’échange, de varier les méthodes d’apprentissage, d’inclure les services d’aide dans une plate-forme, de personnaliser le lien entre école et monde de l’insertion socioprofessionnelle, d’informer sur les réalités de l’après-école (syndicats, mutuelles, etc.), d’inclure les parents dans un lien constructif (responsabilisation et échanges respectueux), d’impliquer plus fortement les employeurs, etc.

Associer les familles et les professionnels de la jeunesse

Sur le plan de l’encadrement des familles, Altay Manço ouvre différentes pistes d’amélioration : expliquer l’importance de la scolarité pré-primaire, accompagner les enfants dans l’apprentissage de la langue d’enseignement, expliquer le fonctionnement du système scolaire, inciter à l’échange parents-enfants sur tout ce qui se passe à l’école, impliquer les parents dans le suivi scolaire, expliquer l’importance du projet scolaire, etc.

Enfin, concernant les professionnels de la jeunesse, il ajoute des recommandations particulières : tenir compte des rythmes scolaires, favoriser l’estime de soi, assurer l’acquisition des compétences de base, varier les méthodes, travailler les compétences interculturelles, écouter les jeunes en difficulté, relier plus concrètement l’apprentissage à la vie pour accroître la motivation, assurer la cohérence entre apprentissage et travail en entreprise, etc.

À cet ensemble de directives adressées à tous les intervenants concernés par le lien école-entreprise, le chercheur ajoute la possibilité offerte par le FLIP (Français Langue d’Insertion Professionnelle), une formule, centrée simultanément sur des aspects linguistiques et professionnels, dans laquelle la langue cible se place dans l’espace-temps de l’emploi. L’idée maîtresse consiste à insérer, puis donner des cours de langue, et non l’inverse comme traditionnellement. L’appropriation de la langue conjugue alors les processus de cours (comptant comme des prestations), l’utilisation d‘outils (fiches, brochures, sites Internet, etc.) et des lieux d’échanges informels.

Dominique Watrin