Les discriminations à l’égard des femmes migrantes : une situation de violence qui se dégrade


 

La question de la discrimination envers les femmes, et particulièrement les migrantes, est une problématique sensible depuis longtemps. L’association PAVEE (pour Plateforme Agir pour un Vivre Ensemble Egalitaire), soutenue par le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), s’est penchée, à son niveau, sur la question des discriminations dont sont victimes les femmes, tant au quotidien que tout au long des grandes étapes de leur parcours de vie, dans le secteur particulier de l’emploi.

 

La plateforme PAVEE est née du constat établi, à partir d’une maison de quartier de Colfontaine où est mené un travail social de proximité. Ce constat, c’est le changement de comportement de certains jeunes. Les éléments principaux étaient le refus de tout contact physique avec les animatrices et la mise en avant de leur appartenance religieuse. L’équipe s’est donc engagée dans une réflexion, menée avec des opérateurs de terrain et des chercheurs, questionnant le vivre ensemble dans le but de mettre en place un programme d’actions.

La stratégie centrale de ce travail en profondeur comprend plusieurs axes : mettre en place des mécanismes préventifs, lutter contre les discriminations, comprendre et prévenir la radicalisation violente, travailler sur les stéréotypes, travailler sur les traitements de l’information, sensibiliser dans la proximité (jeunes, parents, élus, etc.), et sensibiliser les travailleurs aux lois, à l’histoire de l’immigration, aux pratiques religieuses, etc. C’est dans l’axe de lutte contre les discriminations que prenait place la conférence consacrée aux discriminations envers les femmes.

 

L’accentuation des discriminations

Première à intervenir dans la partie académique de cette matinée intitulée « La discrimination à l’égard des femmes sur le marché du travail », Nouria Ouali, professeure à L’ULB (Université Libre de Bruxelles) s’est attardée sur « Les discriminations et l’accès à l’emploi ». En prémices à son exposé, elle a souligné le lien étroit qui unit la recherche et le travail de terrain. Pour elle, il est important de rappeler que savoir théorique et pratiques sont entremêlés dans un but unique qui est d’agir dans le sens d’un changement social. Et de rappeler qu’historiquement, la sociologie a émergé au dix-neuvième siècle, élaborée par des gens qui voulaient faire des analyses sur la condition ouvrière avec, pour objectif, d’induire un progrès social.

Selon Nouria Ouali, une démarche d’approche des discriminations, comme celles envers les femmes, demande de cerner d’abord comment ces discriminations se déclinent concrètement, à travers notamment les statistiques du SPF Emploi ou de Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Pour elle, toute discrimination est une violence qui s’inscrit dans une société de plus en plus violente. « Les dix-neuvième et vingtième siècles ont été dominés par des mouvements visant à diminuer les discriminations, à réduire les inégalités, détaille-t-elle. Depuis les années 80, ces dernières repartent en flèche, avec les poussées du libéralisme et les attaques de l’État qui visent à diminuer sa charge sociale. »

Un rapport rédigé en 1997 par le BIT (Bureau International du Travail) a reconnu qu’il y avait une discrimination à l’embauche des minorités ethniques. Ce rapport a induit une prise de conscience qui a conduit à la mise en place de mesures et d’actions pour lutter contre ces discriminations. Aujourd’hui, force est de constater, à travers notamment le monitoring économique, que les discriminations s’accentuent vis-à-vis des femmes et des étrangers. L’idée préconçue que la discrimination à l’emploi de ces catégories est due à leur plus faible niveau de qualification s’est, par exemple, progressivement installée. Or, il a été établi qu’à qualification équivalente, le taux de chômage est de trois à cinq fois supérieur chez les catégories discriminées, comme les populations maghrébine, turque et originaire d’Afrique subsaharienne. Et, dans ces groupes, ce sont les femmes les plus discriminées.

 

La montée des discours racistes et sexistes décomplexés

Pour Nouria Ouali, dans le contexte européen actuel, de plus en plus de dirigeants tiennent des discours racistes et sexistes décomplexés. Et de citer notamment l’exemple de la N-VA qui adopte un discours pour légitimer les discriminations qui s’expriment à des degrés divers, notamment par le refus d’un logement ou d’un emploi. Et elle brandit le spectre que le stade ultime de cette discrimination est le génocide.

« On est dans cette logique-là, dans ce processus, assène-t-elle. Et le discours sert à légitimer cette politique. Il faut donc créer des logiques de luttes universalistes. Nous sommes tous des êtres particuliers et notre perception du monde est déterminée par notre expérience particulière. On a des expériences singulières, mais on a des perceptions universelles, comme c’est le cas en matière de discrimination ou de migration. »

Pour l’intervenante, l’enjeu politique est donc de transformer les expériences particulières en stratégies politiques collectives visant à une amélioration de l’ensemble de la société. La classe des femmes est, par exemple, multiple, avec des cultures individuelles et des expériences particulières, mais toutes les luttes peuvent se fédérer autour d’une lutte particulière. Autrement dit, une lutte bénéficie à toutes les autres.

 

La détresse des femmes racisées

Cécile Rugira du Centre d’Information et d’Éducation Populaire (CIEP) Hainaut Centre a complété l’approche en évoquant « L’emploi des femmes racisées en Belgique ». La racisation est un terme utilisé en sociologie depuis 1972. Il identifie le processus par lequel un groupe ou un individu est assimilé à une race humaine inférieure en raison de certaines de ses caractéristiques.

Pour l’intervenante, l’inégalité sur le marché de l’emploi est une réalité indéniable. En Belgique, note-t-elle, il faut quatre générations à une catégorie de personnes pour passer des revenus inférieurs à ceux de la classe moyenne. En Allemagne, cette durée n’est que de deux générations. Dans ce contexte, les femmes migrantes et racisées perdent leur capital économique, social et culturel. Leurs luttes pour leur émancipation sont donc diverses et visent des objectifs aussi variés que l’accès à l’emploi ou la lutte contre l’exploitation.

Les discriminations à l’égard de ces femmes prennent plusieurs formes. Il y a les discriminations individuelles (la peur, le mépris, etc.). Il y a aussi les discriminations institutionnelles qui se concrétisent par l’inscription de mesures dans le règlement d’ordre intérieur (par exemple, l’interdiction du port du voile), par la pratique d’ethnostratification (qui consiste à diriger les personnes vers des couches inférieures, d’emploi par exemple, en raison de leur origine) et par le traitement non différencié des différences.

Cécile Rugira pointe d’abord les femmes racisées sans papiers qui sont cantonnées dans le travail au noir dans des secteurs comme l’emploi domestique, l’Horeca ou la prostitution. On estime leur nombre à 20.000 en Belgique. Elle évoque ensuite les femmes racisées avec papiers, dont le travail réglementé comprend des contrats précaires, des temps partiels et des horaires morcelés, dans des métiers peu valorisés socialement. Ces femmes sont victimes à la fois de sexisme et de racisme qui prennent diverses formes : intimidation, vexation, infantilisation, propos racistes, gestes déplacés, etc.

Ces traitements dégradants ont des conséquences importantes sur la vie des migrantes. Il y a l’intériorisation de la discrimination et de l’infériorité sous forme d’auto-exclusion. Il y a la sur-responsabilité de représentation de sa race qui entraîne une surcharge mentale. Il y a aussi la disqualification parentale, avec des parents qui affirment ne plus pouvoir motiver leurs enfants dans leurs études, dans la mesure où eux-mêmes n’ont pas pu valoriser leurs diplômes. Il y a enfin une hypothèque du futur des générations suivantes par manque de modèle de réussite. Une petite fille noire qui veut devenir institutrice ne connaît, par exemple, généralement pas d’institutrice noire.

La représentante du CIEP Hainaut Centre conclut en affirmant que, seules, les politiques peuvent changer les choses, en adoptant des mesures en plus de lutter contre les discriminations. Selon elle, on pourrait, par exemple, mettre e place des plans d’embauche spécifiques pour les femmes racisées, mais elle concède que cette perspective reste utopique dans le contexte actuel.

 

Dominique Watrin