La situation en République Démocratique du Congo : mieux comprendre le passé pour mieux analyser le présent


La situation en République Démocratique du Congo a toujours été un sujet de débat enflammé au sein de la communauté congolaise. À l’heure où les tensions se focalisent sur le futur scrutin présidentiel de la fin de l’année, dont il semble déjà établi qu’il n’aura pas lieu, le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) a programmé une très attendue conférence-débat centrée sur les « Clés pour comprendre la situation en République Démocratique du Congo ». Une soirée entre rappels historiques et questions d’actualité brûlante.

 

Celle qu’on appelle couramment la RDC vient de fêter le 57ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Et le moins qu’on puisse écrire, c’est que la commémoration de cette date clé pour le pays ne prend pas place dans un climat de joie et de fête. Pauvreté endémique, massacres récurrents, instabilité politique profonde qui laisse augurer de nouvelles violences, tous les voyants sont à l’orange et rien ne paraît pour l’instant pouvoir inverser la tendance.

 

Les rênes de la première partie de la conférence ont été confiées à Japhet Anafak, enseignant et chercheur à la Faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’ULB (Université Libre de Bruxelles), qui a retracé, dans les grandes lignes, le tableau de l’histoire géopolitique du Congo pour recontextualiser la question complexe traitée. Bob Kabamba, Professeur de science politique à l’ULg (Université de Liège) et directeur de la CAPAC (Cellule d’Appui politologique en Afrique Centrale), a ensuite porté un regard qui se voulait à la fois étayé et sans complaisance sur la situation actuelle en RDC.

 

Une administration douteuse

 

Lien historique oblige, tout Belge connaît, de manière plus ou moins précise, des pans de l’histoire « moderne » du Congo. De propriété quasi privée du Roi Léopold II à « possession » du Royaume de Belgique sous la forme de colonie, le chemin qui mène le Congo vers son indépendance est semé d’embûches. Et l’administration du Congo par la Belgique a attisé de tout temps les querelles entre historiens. En jeu, l’articulation entre les deux actions menées par la Belgique, à savoir, d’un côté, le volet économique qui a vu la Belgique puiser dans les ressources d’un pays regorgeant de richesses naturelles, ce qui lui a valu un rayonnement mondial, et, de l’autre côté, le souci d’améliorer le sort des populations locales, notamment à travers une mission dite « civilisatrice ».

 

Pour certains chercheurs comme Guy Vanthemste, le Congo a presque autant consommé les budgets du Royaume que la rente économique perçue par celui-ci. Pour d’autres plus nuancés, comme Mathieu Aziza Zana Etambala, les milieux politiques belges se sont employé à montrer au reste de l’Europe que la Belgique était capable de coloniser le pays de manière « civilisée ». Pour d’autres enfin, à l’instar de Élikia M’Bokolo, les dirigeants belges n’avaient aucunement à l’esprit la prétendue mission civilisatrice, mais visaient uniquement les intérêts du commerce et de l’économie des États occidentaux.

 

Selon cette thèse, la colonisation belge a donc été un moment humiliant et déshumanisant pour les colonisés. Au-delà des exactions à l’encontre de la population locale qui sont reconnues, cette période a vu la Belgique maintenir cette dernière dans l’ignorance par son administration et sa vision paternaliste. Le plan de développement (dit « plan Van Bilsen ») conçu dans les années 50 et axé sur une indépendance envisagée pour les années 80, était trop tardif, coûteux et irréalisable. Lorsque le Congo accède précipitamment à l’indépendance en 1960, très en retard par rapport à d’autres pays d’Afrique britannique et française, rien n’est prêt sur le plan des infrastructures, de la formation des cadres ou de la gestion des ressources naturelles.

 

Une instabilité chronique

 

Aujourd’hui, 57 ans plus tard, ce retard semble toujours difficile à combler. Pourquoi ? La responsabilité peut être partagée entre acteurs belges et congolais. Pour Japhet Anafak, les autorités belges savaient que l’indépendance allait tourner à la dérive. Pour des raisons multiples : la loi fondamentale qui portait les germes de l’ingouvernabilité, l’absence de formation de la population aux pratiques démocratiques, le retrait brutal des techniciens belges de l’administration publique et la privation du nouvel État des ressources financières nécessaires à son fonctionnement sont les principales d’entre elles.

 

Sur cette donne s’enchaîne, selon l’intervenant, la période controversée du mobutisme. Cette ère très sombre pour le pays a été marquée par la dictature et les violations des Droits de l’Homme, le pillage des richesses, la soumission aux puissances occidentales (USA, France et Belgique, principalement), et surtout par l’absence de développement économique, social et infrastructurel. D’après plusieurs historiens, cette période marquée par la « zaïrianisation » a eu néanmoins quelques aspects positifs. L’un des plus marquants est développé par l’historien Kambiyi Bwatshia qui relève que ce mouvement a donné aux Congolais une identité qu’ils pouvaient défendre, recréant une forme d’unité nationale. La RDC s’est regroupée autour d’une culture commune, fondée sur l’appartenance commune, sur la langue et sur la tradition.

 

Reste que, du point de vue géopolitique, la situation de la RDC est restée instable depuis son indépendance. Ses ressources naturelles qui devraient, en théorie, faire d’elle un pays riche sont confisquées par une oligarchie et sont source de conflits internes et externes à répétition. Selon Japhet Anafak, les conditions de vie dans le pays se sont dangereusement dégradées, tant sur le plan économique que sur les plans administratif, social ou culturel. L’inefficacité, voire la faillite, de l’État déstructuré et incapable de contrôler son territoire et sa population, entre forces centrifuges internes et agressions externes, rendent le pays extrêmement fragile et peu à même de se relever rapidement.

 

L’enjeu de l’argent et de la sécurité

 

L’analyse de Bob Kabamba rejoint celle de Japhet Anafak, tout en pointant clairement des responsabilités écrasantes. Pour lui, si le Congo possède le triste privilège d’avoir été le seul cas historique d’un pays devenu propriété privée d’un chef d’État (Léopold II), il a aussi été un pays que la Belgique n’a pas voulu lâcher. Et quand la Belgique est entrée en jeu, un nouveau pilier important dans la gestion du Congo a émergé : l’Église. Le principe sous-jacent de cette émergence était qu’il fallait s’occuper du social en créant des hôpitaux et des écoles pour former la main-d’œuvre indispensable à l’État qui devait assurer ses deux missions essentielles : les missions économique et sécuritaire.

 

Pour Bob Kabamba, l’indépendance de la RDC s’est inscrite dans la continuité de ce que la Belgique a fait. « Le pouvoir émerge de deux pôles, explique-t-il. C’est l’argent et la sécurité. Celui qui les détient à travers l’économie et l’armée possède le pouvoir. À son arrivée à la tête du pays, Mobutu a consolidé les trois piliers lui assurant le pouvoir : la sécurité (à travers l’armée), l’économie (à travers une nationalisation partielle) et le pôle social (via l’Église catholique à laquelle il a confisqué l’enseignement, en le lui laissant toutefois gérer). » Par la suite, pour le chercheur, les contrôles ont progressivement échappé à Mobutu. Le contrôle de la sécurité, en acceptant les réfugiés rwandais pour redorer son aura sur le plan international. Le contrôle financier, suite à l’effondrement des cours miniers qui l’a empêché de continuer à financer le pôle sécuritaire, entraînant la perte de son pouvoir.

 

Le blocage insoluble

 

Selon Bob Kabamba, l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila est marquée par la même préoccupation de contrôler la sécurité et l’économie. Il nationalise la finance et il cherche à installer son contrôle sur le système sécuritaire, mais n’y arrive pas. Son assassinat atteste qu’il n’avait pas les moyens de cadenasser le système sécuritaire. Pour Joseph Kabila qui lui succède, l’enjeu est identique, mais il l’aborde autrement. Son objectif est de sécuriser les finances, mais pas le sécuritaire. Il laisse des petits groupes mafieux évaluer et vendre les mines à des grands groupes. Cela lui procure de l’argent pour contrôler l’appareil sécuritaire, mais pas assez pour contrôler l’appareil général. Il va seulement pouvoir financer sa garde républicaine qui va le sécuriser lui, ainsi que les zones qui génèrent le plus d’argent, comme le Kasaï ou l’Est du Congo (pour l’or).

 

Mais le temps qui gère Joseph Kabila est trop court. Ce temps, c’est la Constitution. Lorsque surgit la fin de son mandat instituée par celle-ci, il ne contrôle pas les systèmes financier et sécuritaire. Que fait-il alors ? « Il reste au pouvoir, analyse Bob Kabamba. Il discute et dialogue pour gagner du temps. Et l’opposition n’arrive pas à inverser le mécanisme : c’est le blocage ! La solution serait de priver Kabila de finances (mais aucun opposant n’est assez riche pour le faire) ou de sécurité (mais aucun opposant n’est assez fort). Sur base de ces éléments, mon opinion est qu’il n’y a pas de solution : Kabila va rester. »

 

Sur un plan plus général, pour l’intervenant, le drame congolais est, en quelque sorte, l’échec de l’élite congolaise. Elle a développé une mentalité « de cueillette » ; la richesse est là, mais elle n’a pas développé de stratégie. « Contrôler le secteur financier équivaut à tout contrôler. La Corée, le Japon, etc. y sont parvenus, mais pas le Congo, déplore Bob Kabamba. Toute la dynamique africaine vise ce contrôle des finances, mais aucun pays n’y parvient, comme le Rwanda qui a imposé une présence rwandaise dans chaque pôle financier, mais, malgré ça, n’y réussit pas. »

 

Dominique Watrin

Un article rédigé sur les « Clés pour comprendre la situation en République Démocratique du Congo », thème développé lors d’une conférence-débat organisée par le CRIC – Centre Régional d’Intégration de Charleroi