La politique d’asile européenne à l’épreuve de la comparaison (…)


(…) : les alternatives mises en place ailleurs conditionnées par les intérêts du pays d’accueil

En Europe, chacun des 28 pays de l’Union a tendance à garder sa propre politique d’asile et à refuser toute politique commune. Le défi des migrations y est donc un enjeu qui peine à rencontrer des solutions concrètes et durables. Pourquoi ne pas, dès lors, examiner les politiques appliquées dans d’autres pays, confrontés à des réalités migratoires très différentes et éventuellement s’en inspirer ? C’est la question que s’est posée François Gemenne, chercheur et enseignant en Sciences politiques aux universités de Liège et de Versailles, lors d’une conférence programmée par le CRILUX (Centre Régional d’Intégration de la province de Luxembourg) et intitulée « Quelles alternatives ailleurs ? ». Un tour d’horizon qui a valeur de découverte et de point de comparaison.

C’est un fait aussi troublant qu’interpellant : les migrants débarquant sur le sol européen ne sont pas au courant à l’avance de la politique d’immigration qui les attend et la découvrent la plupart du temps sur place. Il s’agit d’une conséquence indirecte de l’absence d’une politique d’asile européenne unique et coordonnée. À l’origine de ces discordances entre États européens, on trouve l’histoire de ces États qui se sont construits, les uns comme pays d’immigration, les autres comme pays d’émigration. Cette tradition influe sur l’attitude générale face à la question. À titre illustratif, le Maroc qui s’est construit dans l’émigration encourage celle-ci et une perte de rentrées financières des résidents fixés à l’étranger signifie pour lui une perte de revenus considérable. Certains pays, comme ce même Maroc, octroient donc des faveurs à leurs citoyens vivant à l’étranger (double nationalité, tarifs aériens très bas, représentation politique spécifique, etc.), alors que d’autres ôtent le droit de vote à leurs nationaux partis à l’étranger.

Le fruit d’une tradition migratoire

L’immigration en Europe est, en premier lieu, une question de mobilité interne. Si l’on se penche sur les chiffres, 47% y est constituée par de l’immigration européenne, 27% provient d’Afrique, 14% d’Asie, 10% d’Amérique et 2% du reste du monde, à savoir l’Océanie. Dans le volet européen, on distingue trois groupes de pays. D’abord, la « Vieille » Europe (France, Royaume-Uni, Allemagne, Suisse, Suède notamment) qui procède à une importation massive d’immigration après la deuxième guerre mondiale. La « Nouvelle » Europe (Espagne, Portugal, Italie, Grèce) ensuite, pays traditionnels d’émigration qui ont basculé dans un nouveau profil migratoire en devenant des pays d’accueil et de transit d’immigration. Les pays d’Europe centrale et orientale enfin, qui n’ont pas d’expérience de l’immigration, qui ne connaissent pas de présence marquante de minorités et chez qui la question provoque tensions et rejet, la crainte majeure sous-jacente étant non pas celle d’une invasion extérieure, mais celle d’une perte d’identité culturelle due à un exode de leurs propres citoyens.

Cette pluralité de situations a donc entraîné des alliances de fait entre pays de la « Nouvelle » Europe (comme l’Italie) et de l’Europe centrale et orientale, et d’autres alliances entre pays de la « Nouvelle » Europe et de la « Vieille » Europe. Pour comprendre cette géopolitique, il convient de remonter à l’immigration au vingtième siècle. Fin des années 40 début des années 50, il y a une présence massive de réfugiés qui apparaît en Europe, assortie d’un régime de protection internationale d’abord limité à l’Europe, puis étendu au reste du monde en 1967. Au début des années 70 intervient une période de recrutement massif de travailleurs étrangers, avec un régime de protection différencié de celui des réfugiés qui les ont précédés. Le choc pétrolier de 1973 bouleverse cette donne en provoquant une fermeture des portes des pays européens aux migrants économiques, ces pays continuant néanmoins à permettre le regroupement familial à ces travailleurs. Depuis le milieu des années 80, la politique migratoire est marquée par un effet de balancier entre des restrictions de l’immigration par une fermeture des frontières extérieures et une ouverture des frontières intérieures, avec des tentatives de recrutement à l’étranger de travailleurs très qualifiés.

Le tabou des quotas

À travers ces tendances se mettent en place une ambition d’ouverture de marché, mais une incapacité de mener une politique commune d’immigration. L’absence de cette harmonisation a rendu caduque le règlement de Dublin (qui attribue à l’État d’arrivée d’un migrant sur le sol européen la responsabilité du traitement de l’asile de ce dernier) dont l’application exige un espace harmonisé. Dans ce contexte, certains pays appliquent strictement la Convention de Genève et d’autres pas, avec des critères d’octroi d’asile différents. Pourquoi ? Parce que le statut de l’organisme octroyant l’asile varie d’un pays à l’autre. En France, il est indépendant du ministère de l’Intérieur. En Belgique, il est plus dépendant. Et, en Allemagne, il est carrément une unité du ministère. La teneur de ce lien conditionne la liaison avec la politique de l’État concerné. Ainsi, par exemple, certains pays accordent l’asile à des ressortissants de l’Union européenne comme les Roms de Roumanie et de Bulgarie, alors que d’autres ne le font pas pour ne pas « se fâcher » avec les pays concernés.

Le grand tabou de ces politiques est la question des quotas. En principe, cette formule de quotas est impossible, vu que l’octroi de l’asile consiste en un traitement de démarches individuelles, pas en une réponse de nature collective. Dans le concret, cette politique concrétise une volonté des États de retrouver la maîtrise de l’accueil des migrants, alors que la politique d’asile est difficile à prévoir, puisque le flux de demandes d’asile n’est pas linéaire. Cela explique, entre autres, l’ouverture et la fermeture permanente de places d’accueil en Belgique, chaque secrétaire d’État voulant afficher la restriction de l’accueil comme un impact positif de sa fermeté dans le domaine. De même, l’octroi massif d’asiles par l’Allemagne doit être analysé en priorité dans un contexte politique interne. Et la confection par les États de listes de pays sûrs (différents suivant les États) dont les ressortissants ne peuvent bénéficier du droit d’asile est un autre signe des atermoiements de la politique d’accueil.

Il existe également une grosse différence entre États au niveau des conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Certains pays comme l’Allemagne accordent un hébergement et le droit au travail, alors que d’autres pas. En France, par exemple, il existait jusqu’il y a peu une interdiction de travailler pendant la démarche d’asile, mais une allocation était octroyée pour subvenir aux besoins vitaux et un logement était fourni dans des centres d’accueil et des hôtels miteux. L’idée qui se cache derrière cette formule est de permettre de renvoyer plus facilement ces personnes en cas de refus d’octroi de l’asile, le travail étant un biais d’intégration très fort. Aujourd’hui, la France autorise le travail neuf mois après le dépôt de la demande d’asile. En Belgique, il n’existe aucune politique d’hébergement à long terme.

L’option de l’immigration choisie

Si, en Europe, le passé différent des États génère un traitement différent du régime d’asile (le regroupement familial ne concerne, par exemple, que la famille nucléaire en France, alors qu’il s’applique à la famille plus étendue en Allemagne), dans d’autres régions du monde de nombreuses politiques cohabitent également. C’est le cas en Amérique où la tradition de terre d’immigration subsiste. Très ouvert, le Canada bénéficie d’une situation géographique éloignée des pays d’émigration qui facilite la maîtrise de son immigration. Le principe qui y prévaut est de choisir l’immigration qu’il accueille. Cet accueil s’y fait essentiellement à travers deux programmes. D’abord, celui de relocalisation de gens vivant dans des camps de réfugiés depuis plus de cinq ans qui sont choisis en fonction de la langue, de l’âge, des compétences, etc. Ensuite, celui d’un parrainage privé de la part de particuliers et d’entreprises qui se portent garants des réfugiés. Cette option de l’immigration choisie, avec des quotas par profession votés par le gouvernement, s’y assortit d’une lutte contre les discriminations et d’une ouverture à la présence des minorités dans l’espace public.

Aux États-Unis, le système est très différent. Le pays à forte tradition d’immigration met en œuvre un programme de relocalisation, un gros accueil des réfugiés des pays d’Amérique centrale et du Sud, et un accueil de réfugiés politiques. Son système est plus ouvert que le canadien, sans quotas, mais avec un système de loterie instauré autour de la carte verte accordant un titre de séjour permanent. L’idée de base, à travers l’attribution de ces cartes vertes dont le nombre varie et est ajusté périodiquement, est de maintenir la diversité en octroyant l’asile uniquement sur base de la nationalité. En termes de politique d’intégration, le pays se définit comme un melting pot. Il n’y a donc pas de modèle standard (pas de langue officielle, par exemple) et chaque communauté continue à pratiquer ses propres coutumes, sa propre culture, etc. La pratique de l’anglais n’est ainsi pas un prérequis pour la participation à l’espace public et des documents officiels comme un bulletin de vote sont fournis dans des langues comme le chinois, la langue n’étant pas considérée comme un facteur d’intégration.

De l’externalisation de l’asile au système de points

Au Japon, l’immigration est quasi nulle. Dans ce pays insulaire, longtemps placé sous le joug de la Chine, il y a très peu de mixité ethnique, la volonté étant de préserver la pureté japonaise. Les conditions appliquées aux étrangers sont drastiques. Ceux-ci ne bénéficient pas des mêmes droits que les Japonais, l’idée étant de décourager l’immigration et les mariages mixtes. Cette politique génère un gros problème de vieillissement de la population, une situation à laquelle l’État cherche à remédier en tentant d’attirer les descendants de familles japonaises émigrés à l’étranger comme au Brésil. L’Australie, confrontée à l’arrivée par bateau de migrants venant de Thaïlande et du Vietnam, a, elle, développé une externalisation totale de l’asile dans des petits États insulaires de la région comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il s’agit d’un principe de détention des candidats à l’asile dans des centres durant le traitement de leur demande. Un modèle contraire aux règlements internationaux que les nationalistes veulent importer en Europe, en externalisant l’accueil européen dans des pays comme la Turquie et la Tunisie.

Du côté de la Nouvelle-Zélande, la politique d’accueil est régie par un système de points. Cette pratique est sans doute la moins dure de celles pratiquées par les pays industrialisés, ce qui s’explique par le fait que c’est un pays qui cherche encore à se peupler, particulièrement dans certaines zones, comme l’île du Sud. Recevant peu de demandes d’asile vu sa situation géographique, la Nouvelle-Zélande répond par un système de points attribués sur base notamment de l’âge, de la nationalité, des compétences et de la destination souhaitée dans le pays. Le score global ainsi obtenu permet ou non de s’installer dans le pays. La question qui se pose désormais est celle de savoir ce qui se passera lorsque la Nouvelle-Zélande estimera qu’elle aura fini son peuplement.

Quelle est, en conclusion, dans ce faisceau de formules, la politique d’asile idéale ? Pour François Gemenne, c’est tout naturellement celle qui prend en compte les intérêts du pays d’accueil, mais également ceux des personnes qui arrivent… ce qui, actuellement, n’est pas le cas.

Dominique Watrin