Une enquête dans la province de Namur le prouve : la diversité en entreprise est une question encore considérée comme accessoire par les employeurs


Un article proposé et rédigé par Dominique Watrin (Chargé de Communication DISCRI – Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration) suite à  l’enquête menée par le CAI sur « La diversité en entreprise ».

 

La diversité est un enjeu majeur à tous niveaux pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Mais lorsqu’elle touche le monde du travail et de l’entreprise, c’est la survie même de ces personnes qu’elle met en jeu. Le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a récemment mis le point final à une enquête qu’elle a orchestrée auprès d’un panel d’entreprises de la province de Namur. Le centre d’intégration vient de présenter les résultats généraux de ce travail lors d’un exposé intitulé « Diversité dans les entreprises de la province de Namur », programmé dans le cadre de la quinzaine « Change de lunettes » de la Maison de la Laïcité de Namur.

 

L’enquête du CAI a été menée auprès de 49 entreprises, selon la méthode du focus group (entretiens semi-directifs), avec un triple but : éclairer les représentations, identifier les expériences et tirer des conclusions. L’idée était donc de questionner les pratiques de recrutement et les représentations des personnes étrangères dans le monde du travail, de scruter les politiques de gestion de la diversité existantes et de formuler des recommandations. La recherche présentait d’évidentes limites méthodologiques dont les deux principales sont l’influence de la subjectivité des intervenants (personnes interviewées et enquêteurs) et l’absence de représentativité de l’échantillon d’entreprises.

 

Les trois secteurs professionnels les plus représentés dans l’échantillon de 49 étaient la fonction publique (9), la santé (6) et les grandes surfaces (6). Le premier constat réalisé a été la sous-représentation des travailleurs étrangers ou d’origine étrangère. Cette population représentait en moyenne environ 5% du personnel des entreprises. Il convient cependant de nuancer ce chiffre par secteur, puisque des branches professionnelles comme le nettoyage, les soins de santé, la construction et, d’une manière générale, les secteurs manuels à plus grande pénibilité de tâches voyaient ce chiffre augmenter. En revanche, deuxième constat, il y avait une absence totale de représentativité de cette frange de population dans les postes de cadres et dans l’administration publique.

 

La diversité n’est pas une priorité

 

D’une manière générale, les représentants d’entreprise interrogés affirment utiliser des canaux de recrutement variés, mais reconnaissent toucher peu de candidats étrangers ou d’origine étrangère. Sans surprise, leur critère principal d’engagement est la compétence. Les compétences même, puisque s’ajoutent à la compétence professionnelle stricte, la maîtrise de la langue française, sans oublier d’autres facteurs comme la reconnaissance du ou des diplômes et la conformation aux conditions spécifiques d’octroi du contrat (par exemple, pour les contrats Article 60).

 

Au niveau des représentations de la diversité, le grand enseignement de l’enquête est que celle-ci n’est pas une priorité. Même si elle est vue comme multiforme (d’origine, mais aussi d’âge, de sexe, de formation, etc.), cette diversité s’efface derrière la nécessité de l’efficacité et de la rentabilité. Certaines personnes interrogées soulignent néanmoins l’apport d’une diversité ethnoculturelle dans leur secteur. C’est le cas chez les interlocuteurs du secteur des soins de santé qui mettent en exergue l’« intelligence relationnelle » du personnel africain. Ou des représentants de l’enseignement qui mettent en avant l’intérêt de disposer d’enseignants qui partagent l’origine culturelle de leurs élèves. La diversité est donc reconnue comme pouvant être une richesse.

 

Les employeurs s’attribuent toutefois la mission inattendue de gérer cette diversité. Il s’agit de recentrer l’attention sur les compétences et non sur les clichés liés notamment à la culture. Face au refus de certains clients (comme, par exemple, dans le secteur du nettoyage ou des soins de santé), des pistes d’amélioration sont nécessaires : former le personnel, accepter de perdre des clients, accompagner les travailleurs ou les patients, etc. Reste que, pour tous les employeurs, l’efficacité demeure l’objectif majeur visé, surtout dans le cadre d’une entreprise à finalité marchande. L’employeur attend, par conséquent, de son employé qu’il fasse preuve de maîtrise des compétences et de conformité.

 

Privilégier l’approche interculturelle

 

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant qu’une politique de gestion de la diversité soit généralement vue comme pas nécessaire, voire soit carrément rejetée parce que jugée comme discriminante. L’instauration de mesures de lutte contre les discriminations est néanmoins vue d’un bon œil. Parmi celles-ci, l’objectivation du processus de recrutement en le recentrant sur les compétences est particulièrement plébiscitée.

 

Au niveau des soutiens pour les personnes étrangères dans les entreprises, plusieurs leviers sont déjà actifs. C’est le cas de la formation à la langue française ou de la désignation d’un conseiller en prévention. Certaines avancées doivent néanmoins encore être effectuées dans le domaine. Il y a une nécessité d’appuyer les employeurs dans leurs démarches pédagogiques, légales et administratives. Au niveau du permis de travail, par exemple, il serait utile de démystifier la lourdeur de l’introduction de la demande de permis de travail B. Il serait également intéressant de faire connaître, auprès des employeurs, les organismes de référence en matière légale. Au niveau de la lutte contre les discriminations, des pistes d’avancée pourraient être de former au cadre légal (et pas seulement les responsables en ressources humaines), d’afficher son adhésion à la lutte contre les discriminations (via, par exemple, la signature d’une charte de la diversité) et de sensibiliser à cette question.

 

De leur côté, les employeurs interrogés ont émis quelques recommandations prioritaires pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi étrangers. Parmi celles-ci figurent la présentation des compétences lors de l’embauche, la formation à la compréhension du marché du travail et aux attentes des employeurs, et l’information sur les droits et devoirs au travail. Plus globalement, le CAI a relevé la nécessité de lever le tabou sur la notion de gestion de la diversité. Il a non seulement épinglé une réticence à répondre à l’enquête, mais la persistance d’une approche des compétences qu’il est impératif de nuancer. En corollaire, il a constaté la nécessité absolue de privilégier l’approche interculturelle dans les ressources humaines. Il s’agit de reconnaître la diversité, de la valoriser et de faciliter sa présence. Un travail de longue haleine dont il convient de faire un véritable objectif.

 

Dominique Watrin