L’islamophobie, une forme spécifique de racisme qui pénalise l’intégration de la communauté musulmane


Multiplication de faits de violence islamiste oblige, les musulmans font, en ce moment, l’objet d’un regain de rejet au sein de la société. C’est sur base de ce constat que le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a placé, en première ligne de l’agenda de ses Échanges de Midi, une séance centrée sur cette question cruciale, en l’abordant sous l’angle de « L’islamophobie : un frein pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère ? » Avec, aux commandes des débats, un expert en la matière, l’islamologue Michaël Privot, directeur de l’ENAR (European Network Against Racism) et collaborateur scientifique au CEDEM (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations) de l’Université de Liège.

 

Le terme d’islamophobie est apparu, pour la première fois, en 1921 sous la plume du peintre orientaliste français, Étienne Dinet qui l’utilise pour fustiger l’attitude française vis-à-vis des populations d’Algérie où il vit. Ce n’est qu’en 1997 que ce mot revient en force aux devants de l’actualité dans un rapport sur le sujet rédigé, en Grande-Bretagne, par le Runnymede Trust, un groupe indépendant de réflexion sur légalité raciale au Royaume-Uni. Ce dernier établit huit critères dont trois suffisent pour que l’on puisse parler d’islamophobie. Ces huit éléments sont que l’islam soit perçu comme statique et monolithique, comme autre et séparé, comme inférieur ou différent, comme un ennemi agressif, que les musulmans soient considérés comme des manipulateurs, que la critique de « l’occident » par les musulmans soit rejetée et jugée illégitime, que les comportements discriminatoires à l’égard des musulmans soient légitimés et que les discours antimusulmans soient perçus comme naturels.

 

Sur base de ces critères, le Runnymede Trust énumère quatre dimensions à l’islamophobie : les violences (physiques, insultes, vandalisme…), les préjugés (immédiats et quotidiens), les discriminations (en matière d’emploi et de services comme l’éducation et les soins de santé) et l’exclusion (qu’elle s’exerce au niveau politique, de l’emploi, ou de la place dans les sphères de direction, de management et de responsabilités).

 

Les femmes, principales victimes

 

Pour l’ENAR que Michaël Privot dirige actuellement, l’islamophobie se définit précisément comme « une forme spécifique de racisme qui réfère aux actes de violences et de discrimination ainsi qu’aux discours racistes, alimentés par des abus historiques et des stéréotypes négatifs. Elle conduit à l’exclusion et à la déshumanisation des musulman(e)s ou supposé(e)s tel(le)s. », étant entendu que ce mot n’a, dès lors, rien à voir avec la critique de l’islam. Ce concept est l’objet de nombreuses confusions et relève d’un racisme complexe et intersectionnel, la perception de la personne étant nuancée par des dimensions comme son ethnicité, son âge, son sexe ou la classe sociale à laquelle elle appartient.

 

Ainsi, par exemple, selon les statistiques 2016 du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France), les femmes sont massivement plus victimes d’islamophobie que les hommes, dans une proportion de 75% contre 25% d’hommes parmi les victimes. Et, quand l’islamophobie contre les hommes est essentiellement liée au monde de la justice et de la police, celle contre les femmes est davantage en lien avec les secteurs de l’éducation et de la santé. Cette différence de proportion en terme de discrimination trouve une de ses explications dans l’addition de la discrimination de genre à celle de l’ethnicité et à une troisième de l’islam. Une enquête dans le secteur de la recherche d’emploi a, par exemple, objectivé qu’un CV émanant d’une personne porteuse d’un nom à consonance francophone reçoit 58% de réponse contre seulement 49% pour le même CV, s’il porte un nom à consonance arabe… et de 1% si ce nom est accompagné d’une photo de femme porteuse d’un foulard.

 

Au niveau du débat sur les différentes formes de racisme (islamophobie, mais aussi antisémitisme, négrophobie, antitsiganisme, etc.) entre lesquels certains tentent d’établir une distinction ou, au contraire, de la gommer, Michaël Privot souligne qu’il appartient aux victimes de chaque communauté de définir et nommer l’oppression, le racisme et les discriminations auxquelles elles sont confrontées, ainsi que leurs priorités, leurs outils de lutte et leurs stratégies.

 

Des victimes mal informées

 

La réalité qui se cache derrière cette notion d’islamophobie n’incite pas à l’optimisme. Dans le rapport annuel 2016 d’UNIA (le service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances), sur 575 dossiers de plainte pour discrimination, 169 (soit 29%) relèvent du domaine des critères raciaux, bien plus que celles relatives à d’autres domaines comme l’âge (106), le handicap (104), etc. Et, parmi les plaintes relatives à une discrimination religieuse, 90% concernent l’islam. Autre chiffre alarmant : 57% seulement des discriminés avaient une connaissance de la législation et des associations de défense pouvant leur venir en aide, ce qui dénote une évidente sous-information.

 

Sur le plan positif, il est relativement rassurant de constater que l’évolution du nombre d’actes islamophobes a chuté de 905 cas en 2015 à 580 cas en 2016. Par ailleurs, il est à noter que, d’après une étude britannique, les attentats et événements internationaux ont une influence directe sur les actes islamophobes, chaque drame donnant lieu, dans la période qui le suit, à une recrudescence des plaintes. Quant au profil des agresseurs, la même étude établit qu’il s’agit, sans trop grande surprise, d’hommes jeunes (appartenant aux tranches d’âge des 13-18 et des 18-25 ans), majoritairement de race blanche (plus de la moitié des dossiers). Et les objets de discrimination relèvent d’un mélange entre la couleur de peau, le nom, l’habillement et la citoyenneté.

 

Des conséquences dommageables

 

Au niveau des causes de l’islamophobie, Michaël Privot dresse une liste non exhaustive de sept facteurs : les préjugés tenaces, le climat polarisé, les postures identitaires, la crispation autour de la place du religieux, les portraits médiatiques, les discours politiques (une position islamophobe étant parfois un marchepied vers le pouvoir) et l’actualité internationale. Indicateur révélateur d’une crainte diffuse de l’islam, une enquête IPSOS a mis en lumière que la perception du nombre de musulmans en Belgique par la population est en net décalage par rapport à la réalité (29% de musulmans selon l’estimation des personnes interrogées pour 6% seulement dans les chiffres réels).

 

Les conséquences et impacts de l’islamophobie sont nombreux et particulièrement dommageables pour les personnes musulmanes. Il y a d’abord les restrictions de l’accès à l’emploi, aux soins de santé et à l’éducation. En matière de justice, les peines sont plus lourdes. Il y a aussi les difficultés d’intégration et d’inclusion, dues notamment aux problèmes en matière d’emploi, de logement, etc. Il y a enfin la réduction d’espace de la société civile, avec la baisse des budgets des associations de défense et les freins et empêchements à leurs actions. Tous ces obstacles ont un impact sur les personnes elles-mêmes, surtout sur les femmes, certaines d’entre elles se contentant, par exemple, de certaines filières professionnelles vers lesquelles leur profil les conduit massivement. Il s’agit d’une forme d’autolimitation qui se greffe sur une victimisation.

 

Paradoxe face à cet ensemble d’éléments contraires, le sentiment d’appartenance nationale reste très fort au sein de la communauté musulmane de Belgique, même si les risques de brèches sont grandissants. Ce sentiment d’appartenance est même supérieur de plus de 4% par rapport à celui de la population dite belge de souche. Un point encourageant qui laisse entrevoir une lueur d’espoir sur la possibilité des uns et des autres de privilégier les convergences et les rapprochements aux attitudes de méfiance et de rejet…

 

Dominique Watrin