L’image des migrants dans les médias : un récit qui s’inscrit dans un cadre économique et sécuritaire


Depuis l’émergence de ce qu’on a appelé « la crise migratoire », nombre de médias ont multiplié les titres et propos alarmistes et racoleurs. À l’occasion d’un de ses Échanges de Midi, le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur), en collaboration avec la Province de Namur, a confié à Daniel Bonvoisin, responsable éducation permanente au sein de l’asbl Média Animation, la tâche de décrypter l’épineuse question de « L’image des migrants véhiculées par les médias ». Avec, pour objectif avoué, d’amener au développement d’un regard critique sur l’environnement médiatique.

 

D’emblée, Daniel Bonvoisin fixe le cadre de son propos. L’environnement médiatique est un univers extrêmement vaste qui va des tabloïds à la presse alternative indépendante. Elle se décline en version papier, radio, TV, etc. qui utilisent autant de formes de langage différentes. Mais les médias, ce sont aussi les personnes, à travers les réseaux sociaux où elles multiplient les posts, les partages d’informations, etc., participant à la construction de l’espace médiatique. Enfin, les médias, c’est en plus la fiction qui se décline en de nombreuses formes comme le cinéma, la bande dessinée, les séries télévisées, les jeux vidéos, etc. Son analyse, l’intervenant la limitera volontairement aux médias d’information, soit la presse écrite classique et les journaux télévisés et radios.

Une rupture du quotidien

Pour le représentant de Média Animation, il est important d’avoir à l’esprit qu’un média est une industrie, capitaliste de surcroît, dont la priorité est l’audience ou l’audimat. C’est donc un marchand d’information dont 50 à 80% des revenus proviennent de la publicité. Ce rapport à l’argent, qui se retrouve également dans la presse indépendante, implique qu’il faut vendre et montrer. En Belgique, cet état de fait se double d’une concentration industrielle de la presse écrite autour de trois pôles que sont Rossel, IPM et Nethys, dont les décideurs sont avant tout les actionnaires.

Dans ce contexte, Daniel Bonvoisin pose la question de savoir en quoi le traitement de la problématique des migrants est-il économiquement « parlant ». Comme explication, il avance d’abord la notion de « récit médiatique ». Le journalisme consiste à raconter des histoires et le récit développé s’attache à décrire ce qui sort de la norme, ce qui est « anormal ». Il s’agit donc du récit d’une crise (de la norme), d’une rupture du quotidien, d’une rupture avec les valeurs. Cela ramène à la notion que les médias ne véhiculent que des mauvaises nouvelles, les bonnes nouvelles n’étant pas une histoire à proprement parler.

Il importe, dès lors, pour les médias de faire un récit attractif d’une « anomalie », mais il faut que le sujet touche le public. Lors d’un attentat, par exemple, les victimes belges sont mises en exergue. L’information est ce qui fait crise, mais cette notion répond à un principe évolutif qui veut que ce qui heurte aujourd’hui ne heurtait pas nécessairement avant. L’idée de ce qui contrevient à la norme change. L’analyse de l’information est donc un reflet de la société. Une règle qui pousse à se poser la question de savoir en quoi des migrants font aujourd’hui l’histoire.

La spirale du bruit et du silence

Aujourd’hui coexistent différentes manières de « problématiser » les migrants. Il y a en ça un angle dérangeant. Le choix des mots, qui ne sont pas neutres, s’ajoute à la charge de leur sens. L’arrivée, beaucoup plus massive des migrants d’ex-Yougoslavie chez nous il y a quelques années n’a, par exemple, pas fait crise. La question connexe est : pourquoi ne parle-t-on de quelqu’un que dans un contexte ? Les migrants ne sont évoqués dans les médias que dans des rubriques comme les faits divers (comme les Roms qui n’apparaissent que dans des contextes de mendicité, vol, insalubrité…), alors qu’ils sont inexistants dans des sujets comme le sport ou la culture. Les gens sont mis en avant sous un certain angle. Pour les migrants, c’est actuellement les bagarres, les viols, les bateaux qui coulent, autant de sujets associés à la mort et à la violence.

Pour l’intervenant, cette approche est aussi une question politique, notamment par son cadrage. On parle de « crise des migrants », ce qui reflète déjà a priori une vision de « problème ». Et en cadrant en permanence les migrants sous cet angle, les médias établissent ce qu’on appelle un « agenda setting ». Autrement dit, en cadrant un sujet, ils créent un agenda. Lorsqu’un sujet vient à l’agenda, c’est-à-dire à l’avant-plan de l’actualité, il en chasse un autre, ce qui équivaut à dire que les crises se font concurrence. À cela s’ajoute le fait que les récits médiatiques font l’objet d’un processus de construction par les journalistes, processus qui établit qu’il y a un problème et qu’il faut faire quelque chose pour y remédier.

Parallèlement à l’« agenda setting », il y a un « agenda building » qui consiste à inscrire dans l’actualité le sujet qui nous intéresse pour pouvoir se positionner par rapport à lui. Autrement dit, imposer des sujets dans l’environnement médiatique pour les mettre à l’agenda et à la visibilité publique. Par exemple, imposer dans l’opinion la question du coût des migrants (comme l’a initié la N-VA) ou celle du bénéfice des migrants (comme l’ont amenée plusieurs ONG). Cette concurrence pour apparaître sous les feux de l’actualité crée un problème, celui de la spirale du silence. Les visions du monde moins médiatisées souffrent parce que, moins on parle d’un sujet, moins on tend à en parler. C’est le cas, chez les migrants, de ceux d’entre eux qui se battent pour montrer leur bénéfice pour leur pays d’accueil et qui n’ont plus d’espace médiatique.

Le processus de « sécuritisation » permanente

Pour la question des migrants comme pour d’autres, il y a pour l’heure un processus de « sécuritisation » permanente. On parle donc des migrants pour la menace qu’ils sont supposés représenter. C’est la forme actuelle la plus performante de récit. Aujourd’hui, par exemple, on parle de sécuriser la culture, l’identité (le célèbre slogan de « l’identité nationale »), ce qui équivaut à positionner de facto les migrants comme une menace, même si les entités menacées ne sont pas toujours réelles. C’est le même processus que celui qui veut que, pour justifier une guerre, on présente l’ennemi comme une menace (ce qui a été le cas pour la guerre en Irak).

Ce processus de « sécuritisation » amène, selon Daniel Bonvoisin, à multiplier les raccourcis, les clichés et les stéréotypes. Les médias et les acteurs de l’actualité présentent les choses de manière raccourcie, et les stéréotypes prennent place en permanence comme une charge. Le cas de la mort de la petite Mawda lors de l’interpellation d’une camionnette de migrants qui a mal tourné est le parfait exemple de cet état de fait. Il s’agit d’un fait divers portant la plus grande charge émotive : la mort d’un enfant. La première tendance de la presse a été d’invoquer la responsabilité des migrants (on « sécuritise » la question). Ensuite, elle a affirmé que la mort était due à une balle perdue qui avait tué une enfant qui servait de bouclier humain (une affirmation qui engendre l’absence d’empathie). Seulement, dans un troisième temps, elle a parlé des parents et leur a donné la parole, ce qui a donné lieu à un récit alternatif dans lequel les parents n’étaient plus des migrants, mais de simples parents comme nous. Tout ce cheminement atteste du fait qu’il y a une incapacité des médias à avoir de la peine pour les migrants.

Régulation et éducation

Que faire, dès lors, face au dérapage de l’image des migrants véhiculée par les médias ? Daniel Bonvoisin met en avant l’indispensable association d’un travail de régulation et d’éducation. Pour la régulation, l’intervenant rappelle l’existence d’un arsenal législatif relatif aux questions de racisme et de discrimination. La possibilité de poursuites judiciaires existe, mais il ne faut pas oublier que le délit de presse est du ressort d’une cour d’assises. Un autre organe de contrôle est le CDJ (Conseil de Déontologie Journalistique) qui oblige les médias à publier des correctifs. Il y a également le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel). Enfin, il reste Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) qui s’attaque notamment aux messages haineux sur les réseaux sociaux.

Au niveau de l’éducation, l’intervenant souligne l’importance de rester critique face à cet environnement médiatique. « C’est notre culture qui fait que les médias nous vendent ces récits, souligne-t-il. Une résistance face aux récits proposés va obliger les médias à faire attention. Si la sensibilité à l’égard des migrants change, le traitement médiatique changera. Et je pense que ce changement est en cours… »

Dominique Watrin