Les migrants qui renforcent l’économie namuroise : entre compétences à valoriser et projets à encadrer


Si créer son propre emploi dans notre pays n’est pas simple pour un Belge de souche, que dire lorsque la même démarche est l’œuvre d’une personne d’origine étrangère, voire d’un demandeur d’asile fraîchement débarqué sur le territoire ? Assurément, qu’il s’agit d’un véritable parcours du combattant. C’est la conclusion qui ressort de la soirée consacrée par le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur), dans le cadre de la quinzaine interculturelle initiée par la Maison de la Laïcité de Namur, aux audacieux qui ont relevé et réussi ce pari un peu fou. À « Ces migrants qui renforcent l’économie namuroise », comme l’annonçait l’intitulé de cette conférence. Rencontre, écoute et respect !

Cette soirée orchestrée par le CAI prenait place dans une démarche plus large que le centre régional mène, depuis plusieurs années, en lien avec le monde des employeurs de la région. Ce travail s’enracine dans un triple objectif de départ : éclairer les représentations des entreprises par rapport à la diversité, identifier les expériences des entreprises en matière d’emploi de personnes issues de la diversité et en tirer les conclusions à travers une synthèse de ces actions.

L’idée centrale du projet général du CAI est qu’une diversité bien gérée est une richesse pour l’économie et les entreprises qui la font prospérer, mais qu’elle nécessité un accompagnement. Pour donner corps à cette ligne de force, le CAI a récemment instauré Net2Work-Asile, une première du genre en Belgique. Il s’agit d’un dispositif de mentorat en entreprise mettant en lien un demandeur d’asile (baptisé le « Mentee ») avec un travailleur expérimenté volontaire (nommé le « Mentor ») qui va l’accompagner dans sa démarche personnelle. Ce dernier l’épaule à la fois dans sa réflexion individuelle, dans son acquisition des connaissances sur le métier, en l’aidant à comprendre les codes et spécificités du secteur concerné, et dans sa connexion au réseau professionnel. À noter que ce projet ne vise pas la mise à l’emploi directe à court terme du Mentee, étant donné le statut très particulier du demandeur d’asile.

Cinq témoins-clés

Ahmed vient du Maroc et est restaurateur. David est musicien et vient de Géorgie. Hassan est irakien et exerce la profession de coiffeur-barbier. Rexhep vient d’Albanie et dirige une entreprise de construction. Tannaz et son mari viennent d’Iran et sont investisseurs. Tous ont en commun de s’être lancé dans l’aventure de la création de leur propre emploi. Sous le regard avisé de Nathanaël Foulon, conseiller en création d’entreprise au sein d’UCM, une organisation de services destinés aux indépendants et PME, ils ont témoigné de leur parcours, de ses embûches et de ses spécificités.

En Occident, 15% seulement des gens créent leur propre entreprise, mais, au sein de la communauté immigrée, ce chiffre monte à 25%. Pourquoi avoir franchi le pas de créer leur emploi ? Les cinq témoins du jour ont chacun leurs motivations qui tantôt diffèrent, tantôt se rejoignent. Pour Ahmed, ça a d’abord été l’envie de travailler pour soi-même. Troisième enfant d’une fratrie de sept, il confesse avoir appris très jeune le sens de la débrouillardise et de l’effort. Titulaire d’un master en sciences politiques, il a choisi de faire primer sa passion sur sa formation et s’est orienté vers la restauration. D’abord modestement, avant de plonger complètement dans le bain lorsqu’il a été contacté par une personne à la recherche d’un traiteur pour un mariage. Ce traiteur, ce sera lui. Et il n’a plus quitté le secteur de la restauration.

Le père de Rexhep a fui l’Albanie en 1990 pour se réfugier en Belgique. Aidé par des membres de sa famille déjà sur place, il a trouvé un emploi dans la construction, avant de fonder sa propre entreprise, poussé par l’envie de devenir son propre patron. Rexhep a tout naturellement repris les rênes de la société de son père dont il a poursuivi le parcours, dans un cadre professionnel où il juge primordial le rôle de la famille qui est le détonateur et le lieu de formation de son activité.

Fils de musicien professionnel, David a fort logiquement rejoint, au terme de ses études, le groupe fondé par ces parents. Renforcé également par les deux frères de David, la formation musicale a sillonné les scènes belges pour faire découvrir au public le folklore des pays de l’Est. Devenu par la suite professeur de musique, David a donné corps à sa volonté d’exister pour lui-même et à son envie de mettre en évidence son apport personnel, sa compétence particulière. Sans oublier l’influence de la famille…

Tannaz et son époux ont quitté leur pays, l’Iran, poussés par la difficulté accrue d’y vivre au quotidien. Riches d’un petit patrimoine, ils ont choisi d’investir celui-ci dans l’achat et la revalorisation d’un complexe hôtelier, projet auquel ils ont ajouté l’ouverture d’un commerce d’épicerie fine. Ce magasin assure un débouché à une série de produits de leur pays d’origine comme les épices, le caviar, des alcools, des produits d’artisanat, etc., tout en garantissant à la famille un revenu dans l’attente de l’achèvement du chantier de réhabilitation de l’hôtel qu’elle compte ouvrir.

Hassan est coiffeur et barbier, une profession qu’il exerce dans la ligne de la tradition familiale assurée également par son père et ses frères. Sa spécialité est l’épilation de la barbe qu’il effectue avec un fil, comme le veut la pratique de ce savoir-faire séculaire dans son pays. Son emploi, il l’a créé à la fois par souci d’indépendance et par reproduction du modèle de commerce qu’il avait connu en Irak. Et le public a tout de suite répondu présent, sa clientèle grossissant rapidement par le bouche-à-oreille vantant la qualité de son travail.

Un apport précieux

Tous ces témoins ont en commun de valoriser des compétences et un savoir-faire venu de leur pays d’origine et de contribuer à la richesse de leur pays d’accueil. Dans une vision où on juge davantage les gens sur leurs aptitudes que sur leur nationalité, cet apport est éminemment précieux. Comme le précise Nathanaël Foulon de l’UCM : « Beaucoup d’investisseurs venus de l’étranger sont des porteurs de projet sans argent. Cette double caractéristique implique qu’ils soient aidés par l’apport d’une mise de départ et accompagnés dans la maturation de leur idée, leurs démarches administratives, la mise en place de leur stratégie et la confection de leur business plan. » Et la langue ? « Elle ne doit jamais être un obstacle, ajoute l’expert, parce que le meilleur moyen de l’apprendre, c’est le travail. »

La totalité des intervenants tiennent à souligner la qualité du système en vigueur en Wallonie, mais regrettent néanmoins les freins que celui-ci met à la concrétisation des projets, que ce soit en termes de démarches administratives ou d’accès à la profession des personnes exerçant déjà leur métier dans leur pays d’origine. Une situation gérée différemment dans le nord du pays. « L’accès à la profession a été supprimé en Flandre, détaille Nathanaël Foulon. En Wallonie, il est encore de mise dans des disciplines comme la boucherie, la boulangerie, la coiffure, etc. Même si ce principe a aussi pour fonction de protéger le client, il crée des blocages. En Flandre, la rapidité de la mise au travail prime. On y est aussi plus souple avec la connaissance de la langue. Certaines formations y sont prodiguées en arabe quand l’efficacité l’exige. »

Quels seraient les conseils que les témoins pourraient adresser aux candidats à la création d’emploi issus d’une communauté étrangère ? L’avis est unanime : aller de l’avant. « Il faut essayer pour ne rien regretter, martèle Rexhep. Et il faut s’appuyer sur l’aide des membres de la communauté d’origine et sur la qualité de son travail. » « Et la première motivation doit être l’engagement », ajoute David. Avant que Nathanaël Foulon ne conclue : « Être bien entouré et bien entourer est primordial. L’entourage aide aussi à prendre du recul et c’est très important. »

Dominique Watrin