Les familles Roms sans-abri : une population condamnée à la précarité permanente ?


À la fois communauté discrète au quotidien et population fortement mise en avant dans les médias, les Roms ne sont pas épargnés par le drame de ce qu’on appelle le sans-abrisme. C’est à cette frange de population ultra marginalisée que l’équipe du Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie (le CMGVRW) a récemment consacré une matinée de conférences, en collaboration avec le CeRAIC (Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre). L’occasion de mettre en lumière toutes les facettes de la précarité inextricable vécue par cette catégorie de personnes.

Les termes de Rom et de sans-abri ont régulièrement tendance à être utilisés comme synonymes, tout comme les termes de Rom et de gens du voyage. La réalité est toutefois bien plus nuancée. Comme l’a résumé Ahmed Ahkim, directeur du CMGVRW, les Roms forment une population originaire d’Europe centrale et orientale, dans une zone couvrant les Balkans, grosso modo de la Mer Adriatique à la Mer noire, à travers des pays comme l’Albanie et les pays issus de l’ex-Yougoslavie d’une part, et la Roumanie et la Bulgarie d’autre part. Cette minorité qui est, en fait, une mosaïque de minorités possède des traits culturels similaires et partage une langue commune.

 

A contrario, les gens du voyage sont originaires de nos régions d’Europe occidentale. Ils ne connaissent pas de problème de séjour, leur seule particularité étant leur habitat mobile, puisqu’ils vivent et voyagent en caravane. De leur côté, les Roms sont confrontés à des difficultés similaires à celles que vivent les ressortissants de pays hors Union Européenne (intégration, insertion, logement, emploi, etc.), des difficultés qui entraînent très souvent une immense précarité.

 

Une minorité isolée

 

Qu’est-ce qui provoque, dès lors, le focus permanent sur les Roms dans nombre de pays ? Selon Ahmed Ahkim, les Roms n’ont évidemment pas vocation naturelle à être pauvres ou sans-abri. Une bonne partie d’entre eux n’ont pas toujours été marginalisés. Une de leurs caractéristiques est qu’il proviennent de régions multicommunautaires dans des pays comme, par exemple, la Roumanie où se côtoient, en outre, des communautés hongroise, turcophone, germanophone. Et cette réalité est vraie dans presque chacun de leurs pays d’origine. Les trente dernières années ont été marquées, dans ces pays, par une recentralisation autour des cultures majoritaires à travers la montée du (ou des) nationalisme(s), telle que douloureusement vécue en ex-Yougoslavie. Le handicap majeur des Roms face à cette tendance est qu’ils sont minoritaires partout, mais majoritaires nulle part. Toutes les autres minorités locales voient leurs intérêts défendus par un pays (souvent voisin) où elles sont majoritaires et eux pas.

 

Face à la situation du sans-abrisme, les Roms sont dans une position différente de celle des autres communautés qu’elles soient européennes ou non européennes. D’un strict point de vue administratif, les conditions sont similaires, sauf qu’elles prennent place dans un contexte d’interrogation, de méfiance, voire de discrimination… déjà vécu dans le pays d’origine. Par rapport aux migrants « classiques », les Roms ont toujours subi le racisme… au point qu’ils ne s’en plaignent pas ou plus, d’autant qu’ils sont aux prises avec d’autres priorités.

 

Une précarité vécue en famille

 

Pour Ahmed Ahkim, la différence essentielle entre les Roms sans-abri et les SDF « classiques » est majeure. Ces derniers sont essentiellement seuls, vivant dans un contexte d’absence de réseaux, de relations sociales et donc, dans l’isolement, auquel s’ajoutent parfois des problèmes de santé mentale. De leur côté, les Roms connaissent le même dénuement que les SDF, mais leur principale caractéristique est qu’ils vivent leur situation en famille. Ils disposent donc d’un soutien familial, d’une résilience véritable qui leur permet de mieux vivre leur pauvreté.

 

Le bémol de cette donnée est que les familles sont aussi un obstacle à leur insertion. Les solutions proposées sont, en effet, quasi toujours individuelles. En matière de logement, par exemple, les centres d’hébergement classiques refusent ces familles parce qu’ils ne sont pas agréés pour accueillir des enfants. En matière d’insertion socioprofessionnelle aussi, la charge de famille rend les choses compliquées. Prendre un rendez-vous administratif, participer à une formation, rencontrer un employeur potentiel, toutes ces démarches deviennent compliquées pour des personnes qui doivent s’occuper d’enfants ou d’adultes dépendants.

 

Pour les intervenants sociaux, cet ensemble de facteurs donne l’impression que ces personnes vivent une certaine forme d’acceptation de leur situation, de la mendicité, de la pauvreté et d’une marginalisation qu’ils reproduisent du pays d’origine au pays d’accueil. Pour Ahmed Ahkim, le vécu de cette communauté avec laquelle il existe une sorte de passif historique (il ne faut pas oublier qu’elle a connu plusieurs tentatives d’extermination qui restent dans la mémoire collective) fait que la confiance réciproque n’est jamais au rendez-vous. De plus, ces familles Roms sans-abri arrivent avec une série de problèmes urgents concomitants (logement, travail, santé, école, etc.) au sein desquels il est souvent compliqué, pour les intervenants, d’établir des priorités.  Selon le directeur du CMGVRW, la meilleure piste de travail est de faire confiance à ces gens et de suivre les priorités qu’ils énoncent eux-mêmes. Car, contrairement aux idées reçues, ces familles ont, d’après lui, une réelle volonté d’avancer.

 

La recherche d’une vie meilleure

 

Pour Sylvie de Terschueren du CIRÉ (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), il ne faut pas perdre de vue que les Roms sans-abri sont des personnes qui connaissent ou ont connu les campements de fortune, les expulsions forcées, la stigmatisation, les politiques discriminatoires, les violences xénophobes, les expulsions dans le pays d’origine… Ils sont à la recherche d’une vie meilleure, c’est-à-dire de lieux plus accueillants, de plus de ressources et d’une citoyenneté. En Belgique, ces migrants roms forment une population estimée à entre 10.000 et 30.000 personnes, une fourchette très large qui s’explique par l’interdiction d’établir des statistiques sur base de critères ethniques.

 

Leurs caractéristiques principales sont qu’ils sont sédentaires, marginalisés, qu’ils cherchent du travail et qu’ils souhaitent rester en Belgique. Les problématiques majeures auxquelles ils sont confrontés sont l’accès au marché du travail, ainsi que les questions du séjour irrégulier, du vivre ensemble, du décrochage scolaire et de la mendicité des enfants, et des mariages précoces et de la prostitution chez les jeunes. L’augmentation de leur nombre en Belgique a été le fruit de la crise dans les Balkans et de l’élargissement de l’Union Européenne. Ils forment un groupe hétérogène où se côtoient différentes mentalités et cultures et ne disposent pas d’un régime juridique spécifique, étant soumis à la distinction habituelle entre Européens et non Européens.

 

En terme d’asile, ils n’ont pas de droits reconnus de manière pleine et entière. Depuis 2009, il existe une pratique de non accueil des demandeurs d’asile européens par Fedasil (l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile), en se basant sur l’argument que ceux-ci ont accès au marché du travail. Au niveau de l’aide sociale, il existe une restriction à l’accès à cette dernière sur base de la notion de charge déraisonnable pour l’État belge, l’aide sociale pouvant de surcroît devenir un motif de retrait du titre de séjour. Enfin, sur le plan de l’aide matérielle, l’État belge n’exerce pas, dans les faits, ses obligations vis-à-vis des ressortissants européens, le séjour de ceux-ci étant qualifié d’irrégulier et pas d’illégal.

 

Une errance interminable

 

Selon Sylvie de Terschueren, la question des familles en errance est un phénomène visible depuis 2009 et l’arrêt de l’accueil des Européens par Fedasil. Ces familles vivent dans des conditions de sous-citoyens européens. Ils sont confrontés à une impasse juridique et administrative, puisqu’ils ne disposent pas d’une adresse de référence pour toutes les matières comme l’emploi, les finances, etc. Ils subissent une errance interminable caractérisée par une survie dans les espaces publics, par des expulsions répétées et par des allers et retours entre la Belgique et le pays d’origine. Ils survivent dans des conditions de pauvreté extrême alliant précarité et sans-abrisme. Et ces familles sont victimes d’une image très négative, image négative de la société civile, mais aussi image négative qu’elles ont d’elles-mêmes.

 

Sur base de l’exemple bruxellois, Sylvie de Terschueren évoque trois principes de base permettant l’inclusion de ces populations. Le premier est leur stabilisation dans un lieu de vie et sur le territoire. Le deuxième est la mise en place d’un dispositif de suivi social rapproché visant l’accès aux droits sociaux. Et la troisième est leur inclusion dans le droit commun, avec des solutions spécifiques et des mesures adaptées mais non exclusives. Ces solutions combinent donc mesures d’urgence et solutions à long terme.

 

Le CIRÉ concrétise ces principes en formulant une série de recommandations. Il propose notamment d’ouvrir le principe de l’adresse de référence aux CPAS pour les Européens et/ou une domiciliation dans les centres d’urgence. Il demande également d’activer la citoyenneté européenne. Et enfin, il émet l’idée de régulariser l’existant, (comme, par exemple, la domiciliation dans les squats). Pour conclure, il pose la recommandation qui sous-tend toutes les autres : mettre en place des solutions pérennes.

 

Dominique Watrin

Un article rédigé durant la matinée de conférences sur « Les familles Roms sans-abri » co-organisée par le CeRAIC

 

Pour plus d’informations, contacter le Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie – Rue Gaillot, 12 à 5000 Namur – Tél. : 081/24 18 14 – Courriel : gensduvoyage@skynet.be – Site web : www.cmgv.be