Les Eglises de Réveil en Belgique : des acteurs mystérieux qui évoluent aux confins du religieux et du social


Faisant souvent office d’agent de premier accueil de migrants africains débarquant sur le sol belge et européen, celles qu’on appelle les Églises de Réveil sont entourées d’un halo de mystère, voire d’un climat de défiance et de suspicions diverses. Pour porter un éclairage sur ces opérateurs à la fois religieux et sociaux totalement méconnus et battre en brèche certaines rumeurs véhiculées à leur propos, le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) a organisé, il y a peu, une conférence entièrement consacrée à ce phénomène relativement récent. De quoi permettre à chacun d’en savoir un peu plus et de se positionner face à celles que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier régulièrement de sectes.

Que sont les Églises de Réveil ? Quels sont les liens qu’elles nouent avec les populations migrantes, essentiellement d’origine africaine ? Quelle est l’influence exacte qu’elles exercent sur cette dernière ? Pour répondre à ce faisceau de questions, la séance était organisée en deux temps : un rappel du paysage religieux belge dans lequel s’inscrivent ces Églises et une plongée dans les coulisses de ces mouvements qui intriguent et font peur à la fois.

 

Une reconnaissance sur base administrative

Jean-François Husson, secrétaire général du CRAIG (Centre de Recherche en Action Publique, Intégration et Gouvernance) créé en 2011, a ouvert la réflexion à travers un exposé au titre évocateur : « Secte » ou « pas secte » ? Il a d’abord rappelé le principe de liberté de religion qui prévaut en Belgique et qui est assorti d’un dispositif de reconnaissance tant pour les cultes (protestant, évangélique, israélite, anglican, orthodoxe et islamique) que pour la laïcité organisée et le bouddhisme considéré comme mouvement de pensée. À tous ces cultes et mouvements sont alloués des moyens financiers destinés à leur permettre d’organiser leurs activités. Leur reconnaissance s’opère sur base de critères administratifs, et pas sur base de la doctrine.

Les cultes se subdivisent en cultes reconnus et cultes non reconnus (comme, par exemple, la scientologie) et, au sein des cultes reconnus, on retrouve des communautés locales reconnues et des communautés locales non reconnues. L’organe représentatif reconnu des Églises évangéliques est le Conseil administratif du Culte protestant et évangélique. Au sein de ce dernier se côtoient deux ailes, celle du protestantisme traditionnel et celle des Églises évangéliques. Mais nombre de communautés locales ne sont pas reconnues, soit parce que leurs dossiers sont en cours de traitement, soit parce qu’elles ne souhaitent pas être reconnues, refusant une intervention publique dans leur organisation. Et nombre de ces dernières communautés sont constituées autour de pasteurs autoproclamés.

 

Des acteurs pas a priori nuisibles

Pour Jean-François Husson, les sectes et nouveaux mouvements religieux ne constituent pas en soi un danger et ne sont pas a priori nuisibles. Les dérives sectaires sont possibles dans tous les mouvements religieux. Le service indépendant attaché au SPF Justice qui est chargé de fournir un avis pour les pouvoirs publics et des informations sur demande (condamnations éventuelles, etc.) au sujet de ces mouvements et organisations est le CIAOSN (pour Centre d’Information et d’Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles). Et les demandes adressées à cet organisme portent principalement sur les Églises pentecôtistes et les Églises de Réveil.

En termes de définition, l’intervenant attribue l’étiquette d’organisation sectaire nuisible à tout groupement à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant comme tel, pratiquant des activités illégales dommageables comme des méthodes de recrutement trompeuses ou abusives, le recours à la manipulation mentale, des mauvais traitements physiques ou mentaux, des privations, des violences notamment sexuelles, l’empêchement de quitter la secte, l’exploitation abusive du travail des membres, la rupture totale avec la société démocratique, etc.

Parfois, selon l’expert, ces sectes sont de vraies associations de malfaiteurs, avec blanchiment d’argent, etc. Un des gros problèmes est également l’abus de faiblesse, avec le concert de dérives qui en découlent : extorsion de fonds, arrêt des traitements médicaux, etc. Pour contrer ces dernières, il existe un arsenal légal qui peut donner lieu à des condamnations en matière d’escroquerie, d’extorsion, d’organisation criminelle, de violation de la loi sur la vie privée, de faux et usage de faux, de pratique illégale de la médecine et de la pharmacie, etc.

 

Des mouvements difficiles à catégoriser

Forte d’une recherche menée sur les Églises de Réveil, Sarah Demart, chargée de recherche à l’Université Saint-Louis de Bruxelles, a plongé dans l’univers de ces mouvements. Elle note d’emblée que les alternances d’ouverture et de fermeture qui caractérisent ces derniers rendent malaisé de figer leur situation et de les catégoriser, d’autant qu’il s’agit souvent d’Églises non listées. En tant que membre de l’Observatoire du sida et des sexualités de son université (biais par lequel elle a entamé son étude), la chercheuse a découvert que de nombreux malades du sida rejoignaient ce type de mouvement, à la fois pour obtenir une guérison et pour fuir la honte.

Ces Églises sont considérées comme des sectes dans la communauté d’origine (essentiellement africaine) de ses membres, parce qu’elles génèrent des divorces, des conflits dans les familles, un danger pour la santé de ses membres, une immixtion dans les deuils des familles, etc. Sarah Demart évalue à environ 200 le nombre de ces mouvements d’ascendance africaine en Belgique. Il s’agit d‘Églises très fédératrices qui vivent une double minorisation, raciale et religieuse. Elles reposent sur les dons charismatiques de ses dirigeants (prophéties, miracles, visions, etc.), une nouvelle naissance (« On devient chrétien ») et une attente messianique (une délivrance à venir avec le retour du christ).

Les pasteurs qui officient dans ces mouvements sont généralement instruits et bénéficient d’une grande caisse de résonnance qui s’enracine dans leurs berceaux historiques au Congo, en Afrique du Sud et au Nigéria. Leur fondement de départ, lors de l’émergence de ces Églises, était une lecture africaine de la Bible pour combattre le pouvoir colonial, sur base d’un principe alliant donc rupture, mais aussi continuité, en entérinant le combat de Dieu contre les sorciers et le mal. Le mouvement repose sur le pouvoir émancipateur de la Bible et tout chrétien béni a le pouvoir de guérison, de vision, de parler en langue non apprise, etc.

 

Entre continuité et rupture

Les sorcelleries et les miracles occupent une place importante dans le schéma de ces Églises. Dieu y est vu comme plus fort que tout et il y existe un principe de transaction avec Dieu (avec circulation d’argent) selon lequel plus on donne à Dieu, plus on reçoit. En Belgique, les premières Églises de ce type se sont multipliées dans les années 80. Il s’agissait d’un mouvement que l’intervenante qualifie de « glocal », terme qui jumelle la notion de global (l’explosion planétaire du mouvement à partir des années 70) et local (l’imbrication avec les croyances locales). Il s’agit aussi de lieux de socialisation où l’on apprend, par exemple, à parler le lingala, à écouter de la « belle » musique, etc. Ici, ces Églises de Réveil sont donc en continuité, mais aussi en rupture avec les origines et les ancêtres, sur base de la « décolonisation » et de « l’africanisation » du christianisme.

L’idée de Réveil de ces mouvements repose sur un schéma de délivrance. Les leitmotivs de ces Églises sont ceux d’un Dieu de victoire et de gloire (« Rien n’est impossible à celui qui croit »), d’un combat spirituel entre Bible et sorcellerie avec une rupture progressive et radicale avec les origines (village, ancêtres, traditions), d’une délivrance des corps et de la nation (contre le pouvoir colonial), etc. Ces schémas ont évolué dans le temps. Alors que, dans les années 60-70, on parlait de délivrer les corps des fétiches et des envoûtements, dans les années 90, on a commencé à parler de délivrer les familles, les quartiers, la nation.

Ces Églises ont un enracinement culturel, mais considèrent que le christianisme n’est pas universel. L’immigration des populations en Belgique y a ajouté une transformation dans l’espace. Les prières tournées vers les ancêtres ont, par exemple, glissé vers des prières pour avoir des papiers afin de venir en Europe. De même, l’expérience de l’Europe a transformé les pratiques de délivrance avec l’intervention de facteurs comme les papiers, le chômage, la déqualification, le racisme, etc. Les combats spirituels se sont donc élargis à des combats dans la société, avec Dieu comme partenaire dans toutes sortes de démarches.

Aujourd’hui la plupart des pasteurs sont de la première génération. Leur position est plus radicale sur les questions comme l’égalité et le racisme. Cependant, les Églises de Réveil sont en cours de transformation, avec des axes comme le processus d’installation et la transformation des autres. Dans ce dernier axe se retrouve l’idée d’« évangéliser » les blancs et de changer leur regard sur leur communauté. C’est la deuxième génération de pasteurs aujourd’hui émergeante qui infirmera ou confirmera cette tendance en cours…

Dominique Watrin