L’équivalence des diplômes : un immense chantier toujours en cours (…)


(…) au cœur d’un enjeu humain et démocratique

L’équivalence des diplômes est un énorme casse-tête pour tous les primo-arrivants qui débarquent en Belgique, en provenance des quatre coins du globe. Un casse-tête à la fois administratif, juridique et financier, mais aussi humain car, de l’issue de cette démarche longue et périlleuse, dépend bien souvent le sort futur d’une personne, voire d’une famille tout entière. C’est le bilan des dix dernières années de cette démarche et de ses conséquences qu’a exposé récemment, à Charleroi, Laureta Panxhaj du CIRÉ (Coordination et Initiatives pour les Réfugiés et étrangers), dans une intervention intitulée « Équivalence de diplômes et intégration ». Une décennie semée d’embûches, d’avancées et de problèmes toujours non résolus à ce jour.

C’est dans le cadre du dixième anniversaire de l’asbl ALL-JUSTE (Alliance pour un monde plus juste) basée à Charleroi que Laureta Panxhaj a pris la parole. Une manière de mettre en lumière le travail de longue haleine réalisé par cette association qui s’est donné pour mission d’aider les primo-arrivants débarqués sur le sol belge et d’œuvrer à leur intégration durable via l’organisation de réunions et de séminaires, ainsi que via la mise sur pied de projets éducatifs, sociaux et économiques.

De son côté, le service TEF (pour Travail-Équivalence-Formation) du CIRÉ a pour objectif de contribuer à l’intégration des personnes étrangères et d’origine étrangère sur le marché du travail belge, en vue de promouvoir leur pleine participation à notre société. En termes d’activités avec le public, cet objectif se traduit par des actions d’information et de soutien en équivalence de diplômes (et ses alternatives), ainsi qu’en droit de séjour et du travail. Un axe d’approche qui a prouvé toute son utilité, puisque ce ne sont pas moins de 1700 personnes qui ont été touchées en une centaine de séances d’information.

Une clé de l’insertion

Le principe de l’équivalence de diplômes est simple sur papier : c’est une décision officielle qui détermine la valeur des études suivies à l’étranger et l’institution compétente dans le domaine est la Fédération Wallonie-Bruxelles. À noter que la Belgique est le seul pays où l’équivalence est encadrée par une loi. Cette équivalence est indispensable à plus d’un titre. Elle facilite la recherche d’emploi, elle permet entre autres de répondre aux conditions d’accès à un emploi spécifique, de suivre des études supérieures, de se lancer comme indépendant ou de travailler dans le secteur public. L’équivalence de diplômes recèle donc un faisceau d’enjeux pour le requérant (tous ceux qui viennent d’être cités, auquel s’ajoute l’estime de soi) et pour la société d’accueil.

Le diplôme reste une clé de l’insertion sur le marché du travail et de la mise à l’emploi. En 2018, le taux de chômage en Wallonie était de 38,5% pour les personnes de faible niveau de qualification, alors qu’il n’était que de 13% pour les personnes de niveau de qualification élevé. Et, dans ce contexte, force est de reconnaître que l’origine étrangère constitue un frein à l’emploi. Autrement dit, à diplôme égal en poche, les personnes d’origine extra-européenne ont plus de difficulté à trouver un emploi. Au niveau de la non reconnaissance des diplômes, les personnes les plus touchées sont celles d’origine subsaharienne : la RDC, le Rwanda et le Burundi (41%), les autres pays d’Afrique (34,8%) et le Maghreb (26%).

Trop lourd, trop cher, trop exigeant et trop long

Le constat de terrain fait par Laureta Panxhaj sur les exigences du dossier d’équivalence de diplôme est sans appel : le cheminement est trop lourd, trop cher, trop exigeant et trop long. Diverses améliorations ont néanmoins été accumulées en une décennie de travail. Citons notamment en vrac : un meilleur accès à l’information (avec la création d’un site Internet en français et en anglais), la réalisation d’un guide de procédure, la mise en place de formulaires de demande, l’introduction de l’équivalence de niveau, la simplification de la procédure pour les réfugiés, la reconnaissance du brevet d’études supérieures, la reconnaissance automatique des diplômes du Benelux et la mise en place de partenariats avec le CIRÉ et les administrations (demande d’avis, défense, conseil…).

Sur le terrain persiste une difficulté à obtenir une première information de qualité, de même qu’une difficulté à comprendre l’intérêt ou non de l’équivalence, la procédure, les conditions à remplir et les décisions. Pour l’intervenante, il est donc d’abord urgent de rendre le service davantage joignable par téléphone, de préciser certaines informations sur le site web et de former davantage les accompagnateurs sociaux. La deuxième difficulté relève des exigences du dossier. Pour Laureta Panxhaj, la liste des documents demandés est trop importante et trop rigide. La représentante du CIRÉ demande davantage de flexibilité dans les documents exigés, ainsi que l’acceptation de moyens de preuve alternatifs. Elle souhaite aussi que les conditions d’accès à certains documents soient facilitées (copies conformes).

Sur un autre plan, le coût de la procédure est également pointé du doigt par l’intervenante. Les coûts administratifs d’un dossier introduit au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont estimés à un montant oscillant entre 150 et 200€ (non remboursables en cas de refus), somme à laquelle s’ajoute une série de coûts indirects. Laureta Panxhaj demande donc notamment qu’une dispense du paiement des frais de procédure soit accordée à l’ensemble des publics en situation de précarité financière.

De manière plus générale, il apparaît, selon l’intervenante, qu’il y a une sous-estimation des parcours d’études à l’étranger. Certains diplômes sont, par exemple, impossibles à faire reconnaître, même si le dossier est complet et même s’il s’agit de métiers en pénurie. Il existe aussi des limitations parfois incohérentes des possibilités de poursuite d’études qui sont accordées. Un manque de transparence persiste également au niveau des chiffres publiés par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le domaine. En découle une impossibilité d’évaluer le nombre total de demandes introduites, ainsi que le nombre, la nature et les motivations des décisions reçues.

Un déclassement objectif et subjectif

En ce qui concerne le secteur du supérieur, la représentante du CIRÉ regrette vivement des délais particulièrement longs (face à des employeurs et des écoles qui n’attendent pas), l’inefficience voire la non application de la procédure spéciale pour les personnes réfugiées, la difficulté à se procurer les copies conformes exigées et l’absence de reconnaissance académique pour les médecins hors Union européenne et les autres professions protégées. Les conséquences de tous ces freins sont énormes. Pour la personne migrante, elles prennent la forme d’un déclassement objectif (accès à certains métiers, à certaines offres d’emploi, à un certain salaire, à certaines études…) et d’un déclassement subjectif ((en termes d’estime de soi, de statut social et de stigmatisation). L’estime de soi ne provient pas seulement du développement des capacités ; elle découle aussi du fait que celles-ci provoquent une satisfaction liée à leur approbation sociale. Pour la société belge, les conséquences sont tout aussi dommageables. Ce sont le gaspillage d’un capital culturel/potentiel gratuit, des obstacles à la pleine participation des personnes migrantes et un frein à l’amélioration du taux d’emploi.

À cette situation et ces constats, le CIRÉ oppose une série de demandes. Elles sont au nombre de quatre et visent à la fois l’intérêt de toutes les personnes concernées et l’optique démocratique d’une réelle égalité des chances. Il s’agit de la transparence, de la gratuité, de l’équité et de la simplification, auxquelles s’ajoute le développement d’alternatives. Gageons que ces revendications seront inlassablement remises sur la table au cours des prochains mois.

Dominique Watrin