L’asile en Europe et en Belgique : une arrivée de migrants qui revient à la normale, un accueil des européens qui reste timide


Au hasard des crises humanitaires et des décisions politiques internationales et nationales, la question de l’asile est en constante évolution. Dans ce contexte mouvant, tant les réalités que les images et rumeurs qu’elles génèrent doivent être sans cesse analysées et prises en compte. Pour faire la point sur la question, le CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage) a organisé une conférence-débat autour de la question de « L’asile en Belgique : aujourd’hui, où en est-on ? » Une piqûre de rappel entre exposé, témoignage et débat.

 

De nombreuses informations, tantôt vraies, tantôt fausses, circulent autour de la question de l’asile en Belgique, rendant de plus en plus malaisé pour le citoyen moyen de cerner cette problématique. À la demande du CIMB, Karim Gangji, chargé de campagne Asile et Migrant auprès d’Amnesty International, a donc proposé une « radioscopie de l’immigration et de l’asile en Belgique ». Son intervention se greffait sur la campagne de sensibilisation en cours d’Amnesty baptisée « Je suis humain ». Une campagne qui trouve son origine dans un changement de cap de l’organisation qu’il tient à préciser : « La stratégie d’Amnesty qui alterne rapports, recherches sur le terrain, actions coups de poing et mobilisation offline et online a été jugée contreproductive sur certains points. Le principe demeure que les décisions en matière d’asile dépendent des États et que la réussite de ces politiques est tributaire de la population. La campagne « Je suis humain » s’ancre davantage dans cette double réalité. Il s’agit de demander une Belgique qui protège ceux qui en ont besoin et, parallèlement, de déconstruire les préjugés sur les migrations. Et, sur ce dernier plan, il faut ramener à des faits. »

 

Des chiffres éclairants

 

Données objectives, les chiffres sur la crise dite « de l‘asile » sont éclairants. Et ils battent clairement en brèche l’hypothèse d’une Europe, forteresse assiégée par une déferlante de migrants. Les observateurs recensent aujourd’hui 63 millions de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde. Parmi celles-ci, figurent 21,5 millions de réfugiés dont 86% sont accueillis dans un pays limitrophe du leur et donc, dans un pays en voie de développement. Et, au niveau des urgences, l’ONU dénombre 1,15 millions de réfugiés vulnérables ayant besoins d’être réinstallés.

 

Où en est la situation en Europe et en Belgique face à ces chiffres impressionnants ? Dans notre pays, le pic d’arrivées est survenu en 2015, année au cours de laquelle 35.476 personnes ont demandé l’asile. Un chiffre qui se situe très loin du raz-de-marée évoqué par d’aucun, puisqu’il ne représente que trois demandeurs d’asile pour… 10.000 habitants. C’est une augmentation qui reste très en-deçà des 42.000 personnes amenées, en 2000, par la crise du Kosovo, une vague qui n’avait pas été qualifiée d’afflux. En 2016, cette augmentation s’est totalement arrêtée puisqu’avec 18.710 arrivées, on est revenu dans la moyenne annuelle. Fort logiquement, le nombre d’octrois du statut de protection subsidiaire a vu, lui, son augmentation décalée d’un an par rapport au nombre d’arrivées. Il n’y en a eu que 8122 en 2015 pour 15.478 en 2016, conséquence du délai nécessaire pour la procédure.

 

La nécessité d’un partage des responsabilités

 

Pour Amnesty International, il est capital de combattre sans relâche les idées préconçues. Comme, par exemple, celle, persistante, qui prétend que les réfugiés viennent toucher nos allocations, alors qu’il n’existe, dans notre pays, aucune aide octroyée par le simple fait d’être étranger. Ou comme celle qui affirme que les étrangers appauvrissent le pays, alors que toutes les études – celles de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en tête – aboutissent à la conclusion que le coût de l’immigration est nul, voire légèrement positif.

 

Parallèlement à sa volonté de réhabiliter la véracité des faits, Amnesty International prône un partage des responsabilités entre toutes les instances concernées par le phénomène migratoire. Les États restent souverains en matière de contrôle des entrées sur leur territoire, mais, selon Karim Gangji, cette prérogative doit être exercée en conformité avec le droit international humanitaire et le droit relatif aux réfugiés. Or, on constate des violations quotidiennes des droits humains à travers les renvois forcés, les détentions dans des camps, le durcissement de la procédure d’asile, etc. Des atteintes qui interviennent alors que migrer est un droit entériné en Europe par le principe de libre circulation des individus.

 

Pour étayer son propos, l’intervenant cite quelques chiffres attestant que l’Europe est la destination la plus meurtrière pour les migrants. En 2014, sur 216.054 migrants arrivés en Europe, 3500 décès en cours de trajet ont été dénombrés. Un chiffre qui n’arrête pas de croître. En 2015, il a été de 3771 décès pour 1.015.078 migrants et, en 2016, il a encore grimpé à 5096 décès sur 355.361 personnes. Quant à 2017, le dernier chiffre relevé est, pour l’instant, de 1364 victimes pour 55.213 candidats à l’Europe.

 

Face à ce drame humain, l’accueil européen a été et reste tiède. En tout cas, très en-deçà des accords conclus. En matière de réinstallation, les pays membres de l’UE s’étaient engagés, en 2015, à accueillir 22.504 réfugiés. En 2017, seulement 13.000 de ces accueils sont effectifs. Et, dans ce concert de couacs, la Belgique n’est pas en reste puisqu’elle n’a accueilli dans les faits que 600 des 1100 qu’elle avait promis d’héberger sur son territoire. Quant aux relocalisations (mécanismes par lesquels des pays de l’UE accueillent des migrants arrivés en Italie et en Grèce, pour soulager ces pays), le déficit d’accueil est encore plus criant. Sur un quota de 160.000 personnes fixé en 2015, seules, 7000 relocalisations sont effectives en 2017. Et, une fois de plus, la Belgique n’est pas meilleur élève que ces pairs. Sur un nombre de 3700 personnes qu’elle s’était engagée à reprendre, à peine 206 l’ont été dans les faits. Triste score !

Dominique Watrin

 

 

Marie-Béatrice Umutasi, le parcours traumatisant d’une réfugiée… favorisée

 

Marie-Béatrice Umutesi est une réfugiée rwandaise et elle s’applique à témoigner de son parcours, de son vécu. Inlassablement, partout. Et Marie-Béatrice Umutesi n’est pas n’importe quelle réfugiée. Écrivaine et sociologue, elle est l’auteure de « Fuir ou mourir au Zaïre – Le vécu d’une réfugiée rwandaise », un ouvrage traduit en plusieurs langues dans lequel elle conte, dans le menu détail, son parcours de réfugiée.

 

Pour Marie-Béatrice Umutesi, tout commence forcément en 1994, quand elle est contrainte de quitter précipitamment son Rwanda natal embrasé par les querelles ethniques qui deviendront le génocide que l’on connaît. Poussée sur les routes comme tant d’autres, elle se retrouve dans un camp pour réfugiés au Congo, un lieu où s’entassent trois millions d’individus. Elle y restera pendant deux ans, accrochée à l’espoir que la guerre se terminera bientôt au pays et qu’elle pourra retrouver sa vie d’avant. En 1996, c’est la fin de l’incertitude. Une fin brutale ! Le camp où elle est hébergée est attaqué et détruit. Et c’est de nouveau la fuite. Marie-Béatrice parcourt le Congo en un an. Deux mille kilomètres à pied pour aboutir à Kinshasa où elle est contrainte de vivre cachée pour se mettre à l’abri des risques pour sa vie.

 

L’auteure débarque en Belgique en 1998 et la procédure d’obtention du statut de réfugié commence pour elle. Elle le reconnaît son parcours sera celui d’une personne favorisée. Elle maîtrise parfaitement la langue française, elle est diplômée, elle a une expérience professionnelle et, surtout, elle dispose de vrais réseaux en Belgique où elle a effectué ses études universitaires. Mais cela ne lui évitera pas de vivre le quotidien difficile des réfugiés. « J’ai vécu dans un centre pour réfugiés à Rixensart pendant deux ans, détaille-t-elle. C’étaient les chambres partagées avec des personnes qu’on ne connaît pas et qui ne parlent pas la même langue, l’inactivité permanente meublée par des promenades dans le village pour ne pas sombrer dans le désespoir, l’absence d’accompagnement et d’interlocuteur à qui parler, et surtout l’angoisse permanente, la peur de ne pas obtenir le précieux sésame. »

 

Pour Marie-Béatrice Umutesi, le parcours se terminera bien. Malgré la suspicion permanente des instances officielles qui traquent les réfugiés économiques déguisés en victimes de conflits. Malgré une interview au CGRA (Commissariat général aux réfugiés et apatrides) qui s’avérera longue, très longue et suspicieuse, très suspicieuse. Une fois le statut de réfugiée et un contrat de 5 ans avec une ONG belge en poche, elle reprend le fil de sa vie. Et, face notamment aux tracas incessants rencontrés lors de ses voyages professionnels, elle prend la nationalité belge en 2006.

 

Aujourd’hui, Marie-Béatrice Umutesi n’a de cesse de remercier ses nombreux amis qui l’ont aidée à se reconstruire, qui l’ont fait bénéficier de leurs réseaux et qui lui ont donné l’occasion de raconter son expérience, suppléant l’absence d’espace de parole qui l’a tant marquée. Et l’auteure de souligner l’importance des solidarités. « L’accueil, ce n’est pas seulement les structures, martèle-t-elle, c’est aussi l’humain. Particulièrement aujourd’hui, car la situation des migrants a beaucoup changé, avec une pression énorme des CPAS à trouver du travail, même lorsque ces personnes ne parlent pas un seul mot de notre langue. Alors, pour répondre à cette exigence, beaucoup suivent une petite formation comme aide-cuisinier ou technicien de surface, malgré qu’ils soient informaticien ou ingénieur. C’est une perte de compétences colossale. Et je pense que ce durcissement va se poursuivre. Heureusement, les solidarités restent, offrant des espaces où ces personnes peuvent devenir des êtres agissants. »

 

D.W.

Un article rédigé dans le cadre de la conférence :  « L’asile en Belgique : aujourd’hui, où en est-on ? » organisée par le CIMB