La santé mentale et l’éducation sexuelle en contexte de migration : deux questions, une multitude d’obstacles à résoudre par la communication


La santé est un enjeu-clé pour l’intégration des populations étrangères engagées dans le délicat parcours de la migration. Dans la région de Charleroi, la plateforme d’associations Migr’En Santé organise, chaque année depuis six ans, une journée de convivialité et de réflexion au cours de laquelle sont évoquées différentes thématiques cruciales pour ces populations. Cette année, deux questions majeures étaient notamment posées : quels sont les impacts de l’immigration sur la santé mentale ? Et, comment, en tant que parent, peut-on aborder sans tabou la vie relationnelle et affective avec nos enfants d’origine étrangère ?

 

La première problématique traitée lors de cette journée « de partage et de réflexion sur les obstacles et les résistances » était évoquée par Ramaris Zapata, psychologue à l’asbl Santé mentale en exil. Selon elle, le déracinement est source de pathologies diverses. Le fait d’aller dans un autre lieu que celui où se trouvent ses racines (définition qu’elle fait du mot « déracinement ») peut être source de souffrance. Et cette souffrance qui n’est pas une question de distance, d’éloignement, mais de ressenti, est une crise qui peut être dépassée.

 

Une rupture doublée d’un traumatisme

 

Selon Ramaris Zapata, l’immigration est une rupture avec son cadre de vie et sa communauté. Pour les demandeurs d’asile, cette rupture se double d’un traumatisme qui est plus ou moins important. « Toutes les migrations sont différentes, souligne-t-elle, et toutes les réactions des personnes à ce choc sont différentes. Il y a une indiscutable souffrance liée au déracinement et à la rupture. Certaines personnes ont besoin d’un soutien extérieur pour retrouver des forces, notamment celles qui ont subi des violences extrêmes. »

 

Pour la psychologue, l’expression de cette souffrance est différente suivant la culture. Elle varie également en fonction de l’âge, les adultes ayant plus de mal que les enfants à faire le lien entre les souffrances et symptômes ressentis, et l’origine de ceux-ci. « Ce type de souffrance ne peut pas se détecter au scanner, poursuit l’intervenante. Il n’est pas rare que les examens médicaux ne révèlent rien. Et la souffrance est plus compliquée pour une personne arrivée sur le territoire parce qu’elle doit aussi comprendre le système de soins de santé qui lui est inconnu. Sans oublier que la souffrance et l’issue du processus de guérison sont aussi tributaires de la qualité de l’accueil. C’est pourquoi les soins de santé mentale doivent être extrêmement attentifs aux besoins et au vécu des personnes. »

 

La « porte d’entrée » pour rencontrer ces personnes en détresse sont, par exemple, les consultations prénatales ou de nourrissons. Certaines douleurs restent enfouies et ne se révèlent qu’à cette occasion. Mais la démarche d’aller vers un(e) psychologue n’en est pas pour autant automatique. Cette dernière suscite des questionnements et des résistances, avec des phrases comme « Je ne suis pas fou ! » ou « Que vont dire les gens ? », inquiétudes qui sont toutes légitimes car la maladie mentale fait peur. Dans ce contexte, le thérapeute a pour fonction d’aider à soulager la souffrance par la parole. Un rôle qui, pour Ramaris Zapata, peut aussi être exercé par un parent, un imam, un guérisseur, mais de manière insuffisante.

 

Dans son intervention, le psychologue qui est un professionnel agit à la fois dans le respect de la vie privée et de la culture d’origine. Au sein de l’asbl Santé mentale en exil, la reconnaissance de l’identité de chacun passe par celle de ses difficultés linguistiques. C’est la raison pour laquelle le travail thérapeutique se fait, dans la mesure du possible, dans la langue maternelle de la personne, avec le concours d’interprètes professionnels. Car chaque langue a une manière unique de nommer la réalité du monde. Santé mentale en exil effectue beaucoup de travail avec des demandeurs d’asile rencontrés via les CPAS, via les services sociaux (ONE, PMS des écoles, etc.), en veillant à éviter que ces interventions ne contribuent à étiqueter les migrants comme population problématique.

 

Une démarche doublement complexe

 

Aborder la vie sexuelle et affective avec les enfants dans un contexte de migration est une démarche doublement complexe pour des parents. Complexe en soi parce qu’il n’est jamais aisé d’aborder ce type de question avec ses enfants, mais aussi complexe parce que le contexte de la double culture, du pays d’origine et du pays d’accueil, rend cette démarche encore plus malaisée. Chargée d‘évoquer cette problématique, Jacqueline Rwagatare, psychothérapeute en centre de santé, identifie différents éléments qui peuvent constituer des obstacles pour des parents confrontés à ce moment.

 

Il y a d’abord les références éducatives qui sont différentes. Parents et enfants n’ont pas les mêmes perceptions, les mêmes codes, ce qui peut entraîner des malentendus, voire des incompréhensions qui altèrent la communication. Il y aussi l’ignorance, la non connaissance dues à un vécu différent de l’adolescence, particulièrement pour les migrants qui ont vécu leur adolescence au pays. Il y a également la complexité du rôle de parent qui doit s’adapter à chaque enfant, dans une situation sociétale complexe et dans le contexte de vie inconnu d’un pays d’accueil. Il y a ensuite les difficultés et les souffrances des parents eux-mêmes qui vivent des problèmes de travail, de logement, de rupture familiale, etc. dans un parcours d’immigration qui est un processus long et éprouvant.

 

Il y a ensuite les croyances et les valeurs familiales. Comment éduquer un enfant vivant dans une société hyper-individualiste lorsqu’on provient d’une société d’origine hyper communautaire où le groupe prime sur l’individu ? Comment évoquer la vie sexuelle des jeunes lorsqu’on est d’une culture qui prône la virginité jusqu’au mariage ? La singularité de chaque famille et la qualité relationnelle qui y règne entrent également en ligne de compte. Chaque famille a son histoire ; la discussion doit avoir lieu dans un contexte de respect mutuel et d’ouverture. Un contexte de fermeture et de tabous amène les jeunes à chercher la vérité ailleurs. Sans oublier les situations particulières, notamment des familles monoparentales, où le dialogue peut paraître accessoire à côté des questions pratiques liées à la vie, voire à la survie, de tous les jours. Enfin, s’ajoutent à cela le contexte de vie et son influence. Les jeunes vivent dans un monde hyperconnecté, très différent de celui des parents, tout en étant comme eux empreints de la double culture du pays d’origine et du pays d’accueil.

 

La question de la transmission

 

Pour Jacqueline Rwagatare, parler des relations sexuelles et affectives à ses enfants implique donc de respecter une série de principes. S’adapter à l’âge de l’enfant, et même à chaque âge et à chaque enfant. Se sentir légitime de parler de ces questions avec ses enfants. Avoir la capacité d’entendre l’opinion des enfants qui peut être différente de la sienne. Et, si ces conditions ne sont pas remplies, accepter que l’enfant puisse aborder ces questions ailleurs (à l’école, dans un planning familial, etc.). Car l’enfant a besoin de se positionner suivant son âge et sa personnalité, et l’absence de balises parentales plonge souvent celui-ci dans la détresse et l’instabilité.

 

Lors de ses consultations, Jacqueline Rwagatare entend des parents exprimer leurs difficultés qui s’avèrent plus complexes dans un contexte migratoire. La difficulté de parler de contraception dans une famille où celle-ci n’est compréhensible que dans le cadre du mariage. Celle d’aider son enfant à divorcer, alors qu’on n’adhère pas à ce principe. « Tous ces obstacles interrogent la question de la transmission, détaille l’intervenante. Les parents peuvent avoir l’impression que leur modèle éducatif est mis de côté, que l’enfant ne veut plus des valeurs du pays d’origine. Avec la question supplémentaire qui est : que vais-je dire au pays ? »

 

Le défi pour les parents est donc de trouver l’équilibre individuel entre les deux mondes du pays d’origine et du pays d’accueil. Pour l’intervenant, il s’agit de valoriser les parents pour qu’ils se sentent légitimes dans leur rôle éducatif, en sachant que, dans beaucoup de pays du sud, la question de l’adolescence n’est pas prise en compte. Il importe donc de mettre en place une co-construction et de ne pas commettre l’erreur fatale d’aborder ces familles comme si elles n’avaient pas d’histoire.

 

Dominique Watrin

Un article rédigé dans le cadre de la journée « Migr’En Santé » organisée avec le soutien du CRIC.