Le Baromètre de la diversité enseignement d’Unia : un état des lieux transversal de l’école pour dépister les discriminations et les inégalités à combattre


Parmi ses missions légales, Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances) entend produire et diffuser des informations, statistiques et analyses sur la réalité de la discrimination, de la participation et de la diversité. C‘est dans ce cadre qu’elle a conçu le projet Baromètre dont l’objectif est d’élaborer un instrument de mesure structurel qui dresse un état des lieux scientifique de la diversité en Belgique, sur base de cinq critères (le handicap, l’orientation sexuelle, l’origine sociale, le genre… et l’origine ethnique). Après ceux consacrés à l’emploi en 2012 et au logement en 2014, le Baromètre de la diversité consacré à l’enseignement est désormais disponible. Ce copieux volume, fruit d’une recherche scientifique menée conjointement par la KUL, l’Université de Gand et l’ULB, pointe caractéristiques, fonctionnements et dysfonctionnements de l’institution scolaire de notre pays.

Comme les précédentes, la nouvelle étude commandée par Unia a été construite autour de trois dimensions : le degré de tolérance (soit la mesure des attitudes envers certains groupes ou thématiques), les comportements discriminatoires (mesurés par des tests) et la participation (mesurée à l’aide de bases administratives). En matière d’enseignement, le principe sous-jacent est de concrétiser le droit à l’enseignement pour tous les enfants et tous les jeunes, quelle que soit leur singularité. Avec ce Baromètre de la diversité, le Centre interfédéral entend offrir un instrument qui participe à la réflexion visant à réduire les inégalités scolaires.

Dans ce panorama, le critère « origine ethnique » renvoie aux différents paramètres dits « raciaux » qui comprennent la nationalité, l’origine nationale ou ethnique, la prétendue race et la couleur de peau. Pour la thématique de l’enseignement, ces critères ont été étendus aux convictions religieuses ou philosophiques. La notion de discrimination, elle, concerne un traitement, individuel ou de groupe, différencié en raison d’un préjugé relatif à l’un des critères protégés.

L’origine, deuxième facteur de plainte pour discrimination

En 2016, Unia a traité 144 dossiers de discrimination dans l’enseignement obligatoire et maternel. Il s’agit d’une augmentation marquante par rapport aux années précédentes, avec une courbe ascendante entamée depuis quatre années (entre 76 et 86 dossiers répertoriés de 2010 à 2012, entre 107 et 115 entre 2013 et 2015). Différents facteurs peuvent expliquer cette augmentation. Parmi les hypothèses figurent notamment une meilleure connaissance par les parents et les élèves des droits et thématiques liées à l’égalité des chances dans l’enseignement, une meilleure connaissance des missions d’Unia et de la législation anti-discrimination, une collaboration constructive avec les acteurs de l’éducation et de la jeunesse, et la formation et la sensibilisation par Unia à la législation anti-discrimination de différents acteurs scolaires (inspection, directions d’établissement, CPMS, etc.).

L’augmentation du nombre de dossiers traités a concerné tant l’enseignement néerlandophone que francophone, mais, pour la première fois en 2016, plus de dossiers relatifs à l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (76) que relatifs à l’enseignement néerlandophone (68) ont été ouverts. Parmi les thématiques en jeu, le domaine du handicap était le plus présent (66% des dossiers), suivi immédiatement par la question raciale (27%) et le critère des convictions religieuses.

Pour une évaluation du DASPA

Chaque année, la Belgique accueille de nouveaux arrivants venant de l’Union européenne ou de pays tiers. L’accueil de ces primo-arrivants pose de grands défis à l’école. Les enseignants sont confrontés à des jeunes de provenances multiples, aux origines sociales et culturelles très hétéroclites et dont certains sont sans parents. Certains de ceux-ci ont vécu un parcours d’exil et des expériences de vie traumatisants, n’étant parfois pas alphabétisés ou n’ayant plus été scolarisés depuis longtemps. Pour ces jeunes, un dispositif appelé DASPA (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants) a été mis en place en Fédération Wallonie-Bruxelles. Unia relaie aujourd’hui l’appel des acteurs de terrain à une évaluation de ce programme pour déterminer s’il permet l’insertion optimale des jeunes concernés et s’il répond aux besoins.

La scolarisation des gens du voyage interpelle également Unia. Les données statistiques dans ce secteur sont extrêmement rares, mais il apparaît que le droit à l’enseignement n’est toujours pas une réalité pour les enfants de ces communautés, particulièrement pour les Roms dont la surreprésentation dans l’enseignement spécialisé s’avère très problématique. L’idée suggérée par le Centre interfédéral est de développer un enseignement qui tienne compte des conditions de logement, de la particularité culturelle et de l’exclusion historique de cette population, en collaboration avec différents partenaires : les écoles, les CPAS, les PMS, les organisations sociales et surtout les communes dont le rôle est central pour prendre l’initiative et organiser localement les partenariats.

Des dispositifs trop assimilationnistes

Le Baromètre de la diversité dans l’enseignement se subdivise en trois parties. La première entreprend d’établir un état des lieux des connaissances relatives à la diversité et aux inégalités dans l’enseignement. La deuxième tente de dresser un état des lieux de la gestion de la diversité par les écoles aux niveaux primaire et secondaire. Et la troisième approfondit l’analyse du processus d’orientation scolaire pour déterminer notamment comment les jeunes issus de l’immigration sont orientés vers les différentes filières d’enseignement.

Sur le plan chiffré, durant l’année scolaire 2013-14, l’enseignement obligatoire francophone a accueilli 11,8% d’élèves de nationalité étrangère. L’étude relève que, malgré la composition ethnique diversifiée, les politiques de promotion de la diversité culturelle y ont été peu développées et sont relativement récentes. Depuis les années 90, le droit à l’enseignement pour tous les mineurs d’âge, quel que soit leur statut de séjour, est garanti par décret. En 2001, le dispositif de « classe passerelle » a été mis en place, remplacé en 2012 par le DASPA. Ces derniers poursuivent tout deux l’objectif d’acquisition/mise à niveau du français comme seconde langue.

D’autres dispositifs visant à promouvoir les langues et les cultures des élèves issus de l’immigration et à sensibiliser l’ensemble des élèves à la diversité ethnoculturelle (comme le programme « Langues et Cultures d’Origine ») s’y sont ajoutés. Le Baromètre pointe que les dispositifs d’accueil des élèves nouvellement arrivés relèvent d’un modèle assimilationniste de l’intégration ethnoculturelle, leur principale visée étant l’apprentissage de la langue scolaire. Des dispositifs très récents tendent, par contre, vers une logique d’ouverture aux différentes langues et cultures.

Une participation inégalitaire

Les analyses de parcours dans l’enseignement francophone mettent en avant le fait que les élèves d’origine étrangère ne participent pas au système éducatif de manière égale aux élèves belges, même si ce constat est altéré par le fait que les variables disponibles pour mesurer l’origine ethnique au sein des bases de données administratives sont restreintes, puisqu’elles se limitent à la nationalité de l’enfant. Les études sur le retard scolaire attestent, par exemple, que les élèves étrangers ont plus de risques d’être maintenus en troisième maternelle. Le taux de maintien pour les élèves hors Union européenne est estimé à entre 1,5 et 2 fois supérieur. En cinquième année de secondaire, durant l’année 2013-14, le nombre d’élèves en retard scolaire était de 60,7% chez les Belges et de 82,4% chez les non Belges.

Au niveau de l’enseignement fondamental, l’analyse souligne que ce sont surtout les écoles à faible indice socio-économique qui accueillent les élèves étrangers hors UE (12% des élèves existants parmi lesquels 48% des enfants hors UE). Dans tout le système scolaire, les élèves étrangers ont les positions scolaires les plus défavorables. Parmi ces derniers, les positions les plus avantageuses sont occupées respectivement par les Polonais, les Rwandais et les Burundais, tandis que les moins bien positionnés sont les ressortissants de Turquie, d’ex-Yougoslavie et des pays de l’Europe de l’Est membres de l’UE. Enfin, en termes d’orientation scolaire, les travaux soulignent la surreprésentation des élèves étrangers dans les formes techniques et professionnelles de l’enseignement.

Les travaux qualitatifs indiquent, eux, que les attitudes des acteurs institutionnels de l’école à l’égard des élèves étrangers ou d’origine étrangère sont façonnées par la situation de quasi-marché de l’école. Dans ce contexte, plus la position de l’établissement est favorable sur le marché scolaire, plus il poursuit une conception « méritocratique » de la justice scolaire et une conception « assimilationniste ». De plus, les enseignants sont généralement peu informés sur les statuts de séjour de leurs élèves et méconnaissent les difficultés relatives à leur situation migratoire, y compris à l’impact de celle-ci sur leur expérience et parcours scolaires.

Les discriminations inégalitaires prédominantes

Le rapport du Centre interfédéral établit que ce sont surtout les formes de discrimination indirecte auxquelles les élèves issus de l’immigration sont soumis. Parmi celles-ci prennent place le manque d’information sur le système éducatif (et, tout particulièrement, la méconnaissance du décret inscription) et le manque d’information sur les structures et l’organisation du champ éducatif dans son ensemble. Les formes de discrimination indirecte portent aussi sur ce que les experts appellent « la fausse gratuité » scolaire, avec la présence de frais de surveillance, de garderie, etc. Certaines familles s’auto-excluent d’établissements parce qu’elles se jugent incapables d’assumer des frais de surveillance ou des voyages scolaires.

Face à cette réalité, des organisations ont mis en œuvre différentes actions. Elles ont réalisé un travail d’information et d’orientation des populations cibles. Elles ont assisté des élèves primo-arrivants et mineurs étrangers non accompagnés (MENA) dans leurs procédures d’inscription dans une école. Et enfin, elles ont tout particulièrement épaulé les écoles du bas de la hiérarchie sociale.

Tendre vers une gestion plus globale et centralisée

Face aux constats alignés dans son étude, Unia a élaboré une liste de recommandations. La première est l’amélioration des bases de données administratives de la Fédération Wallonie-Bruxelles et des variables disponibles en leur sein, afin de tendre vers des mesures plus précises d’objectivation des inégalités scolaires. La nationalité de l’élève est, par exemple, loin de rendre compte de son origine nationale et de sa trajectoire migratoire. Sur ce point, une amélioration pourrait être, selon Unia, de prendre en compte le lieu de naissance des parents de l’élève.

La deuxième recommandation porte sur une gestion de la diversité plus globale et centralisée. Pour éviter que certains établissements ne « se spécialisent », par exemple, dans l’accueil des enfants d’origine étrangère, Unia invite à mettre en place une politique visant à établir une mixité sociale et ethnoculturelle plus large et plus centralisée. Une piste suggérée est de travailler en amont, au niveau de la procédure d’inscription. Dans ce sens, Unia préconise des aménagements au niveau du décret inscription, comme une gestion plus centralisée des demandes d’inscription via une plateforme web qui concernerait tous les niveaux de l’enseignement, y compris l’enseignement maternel et primaire, et l’établissement de groupes prioritaires, avec un pourcentage de places disponibles.

Les écoles dans lesquelles des politiques discriminatoires en matière disciplinaire, ainsi qu’en termes de redoublement et/ou d’orientation, seraient établies par des analyses comparatives devraient être encadrées par l’inspection et, le cas échéant, sanctionnées. Parallèlement, un travail de sensibilisation devrait être réalisé auprès de tous les acteurs de l’école pour lutter contre toute forme de discrimination ou d’inégalité. Et notamment une formation portant sur les processus de discrimination indirecte, c’est-à-dire les discriminations liées aux dispositifs d’organisation de l’école et à ses modalités de fonctionnement, agissant indépendamment de la conscience de ses acteurs. Devrait s’ajouter à cela, selon Unia, l’intégration de cours obligatoires sur la diversité dans la formation des enseignants, mais aussi des autres acteurs institutionnels de l’école. Ces cours devraient cumuler une approche juridique, un volet sociologique, un volet de déconstruction des stéréotypes et un volet pratique de mise en évidence des bonnes pratiques.

Enfin, la troisième et dernière recommandation d’Unia est de combiner à la fois l’analyse des bases de données administratives existantes et les recherches qualitatives, via notamment l’analyse d’enquêtes par questionnaire standardisé.

Dominique Watrin

Le Baromètre de la diversité – enseignement est disponible, dans son intégralité, sur le site d’Unia :

https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/publications/barometre-de-la-diversite-enseignementf